Analyse de LEM : du succès à la crise (2018-2025)

Article initial rédigé par dividinde en août 2018, mis à jour par mes soins en décembre 2025

LEM (Liaisons Électroniques-Mécaniques) est une entreprise genevoise spécialisée dans les composants pour la mesure des paramètres électriques. Fondée en 1972 et cotée à la bourse suisse depuis 1986, le groupe est leader mondial dans la mesure de l'électricité et de la tension.

Graphique illustrant l'effondrement de l'action LEM Holding entre 2018 et 2025, passant de 1152 francs à 311 francs, avec visualisation de la transition d'une entreprise à forte rentabilité vers une situation de crise nécessitant une restructuration

Une histoire en deux actes : succès puis effondrement

Lorsque cet article fut initialement publié en 2018, LEM incarnait l'excellence industrielle suisse. Avec une marge nette de 17.7% et un rendement sur fonds propres (ROE) de 48.9%, l'entreprise était décrite comme une "vraie planche à billets" comparable à des sociétés exceptionnelles telles que Geberit ou EMS Chemie.

L'action cotait alors 1152 francs et versait un dividende de 40 francs (rendement de 3.5%). La recommandation d'investissement de 2018 s'avéra judicieuse... jusqu'à un certain point. Le titre doubla effectivement en 2017-2018, atteignant des sommets historiques autour de 2000 francs en 2021.

Mais la suite de l'histoire est beaucoup plus sombre. En décembre 2025, l'action cote 310.50 francs, soit une chute vertigineuse de 73% par rapport à 2018 et de plus de 80% par rapport aux plus hauts. Ce qui semblait être un investissement de qualité pour le long terme s'est transformé en l'un des pires effondrements du marché suisse.

Les chiffres de la débâcle

La comparaison entre 2018 et 2025 est sans appel :

Chiffre d'affaires et rentabilité

Le chiffre d'affaires est passé d'environ 285 millions de francs en 2018 à 306.92 millions pour l'exercice fiscal clos le 31 mars 2025, mais seulement 298.63 millions sur les 12 derniers mois glissants (TTM). Plus inquiétant encore, la marge nette s'est effondrée de 17.7% à 2.21% (TTM), tandis que la marge EBIT a chuté de 23% en 2018 à seulement 8.39% (TTM). Le ROE, qui atteignait un exceptionnel 48.9%, a plongé à 5.14% (TTM).

Bénéfices et dividendes

Le bénéfice net (TTM) ne s'élève plus qu'à 6.60 millions de francs, contre environ 50 millions en 2018, soit une croissance du bénéfice (TTM) de -78.35%. Le dividende annuel, qui était de 40 francs en 2018 pour un rendement de 3.5%, est désormais de 0.00 franc. L'entreprise ne verse plus aucun dividende.

Valorisation et marché

Le cours de l'action s'établit à 310.50 francs contre 1152 francs en 2018, ramenant la capitalisation boursière à 353.51 millions contre 1.3 milliard. Paradoxalement, le P/E (TTM) atteint 53.52, un niveau ironiquement élevé malgré la crise, et la performance sur 52 semaines affiche -59.78%.

Les causes de l'effondrement

Plusieurs facteurs ont contribué à cette débâcle spectaculaire.

Le ralentissement du marché automobile électrique européen

LEM réalise environ 20% de son chiffre d'affaires dans le segment automobile, principalement via des composants pour les moteurs et batteries de véhicules électriques. Or, ce marché a connu un coup d'arrêt brutal en 2024. En Europe, les ventes de véhicules électriques ont chuté de 5.9% en 2024. La part de marché des véhicules électriques est passée de 14.6% en 2023 à 13.6% en 2024. L'Allemagne, premier marché européen, a supprimé ses aides à l'achat fin 2023, provoquant des baisses mensuelles de 30% à 38%. Les États-Unis et l'Europe ont vu les stocks de véhicules électriques s'accumuler chez les concessionnaires.

Le ralentissement industriel généralisé

Le segment Industrie de LEM (80% du chiffre d'affaires), actif notamment dans les énergies renouvelables et l'automatisation, a également souffert. On constate un ralentissement de l'industrie électronique mondiale, des stocks élevés et persistants chez de nombreux clients, des processus de restructuration chez les clients en Europe et Amérique du Nord, et une visibilité très faible avec des commandes revenues aux niveaux pré-COVID.

L'appréciation du franc suisse

Comme beaucoup d'exportateurs suisses, LEM a souffert de l'appréciation continue du franc suisse face à l'euro et au dollar, compressant ses marges.

La dépendance à la Chine

Paradoxalement, alors que la Chine représente environ 30% des ventes de LEM et constituait le principal risque géopolitique identifié en 2018, c'est aujourd'hui le seul marché montrant des signes de reprise significative.

Le programme de restructuration "Fit for Growth"

Face à cette crise, LEM a lancé en novembre 2024 un vaste programme de transformation baptisé "Fit for Growth".

Mesures principales

Le groupe prévoit la suppression d'environ 150 postes (sur 1698 employés), principalement en Europe et à Genève. Une réorganisation du comité de direction est en cours, avec l'optimisation des coûts de production et des activités de procurement. L'entreprise opère un recentrage stratégique sur le marché asiatique.

Objectifs financiers

LEM vise une amélioration de l'EBIT de 18 à 22 millions de francs en 2025/26, avec des économies annuelles d'environ 35 millions de francs dès 2026/27. Les coûts du programme s'élèvent à environ 10 millions de francs, dont 7.9 millions comptabilisés en 2024/25.

Nouveaux objectifs à moyen terme (revus à la baisse)

L'entreprise table désormais sur une croissance annuelle moyenne des ventes de 4 à 7% à taux de change constants, avec une marge EBIT progressive vers 10 à 15% (contre un objectif précédent de 20%).

Signes de stabilisation ?

Malgré ce tableau très sombre, quelques indicateurs montrent une possible stabilisation.

Rebond en Chine

Les commandes en Chine ont bondi de 81.5% sur les 9 premiers mois de 2024/25. Le segment automobile chinois a progressé de 14.8%, indiquant que LEM renforce sa position sur ce marché en croissance.

Amélioration des commandes

Les commandes totales ont augmenté de 7.8% par rapport à l'année précédente. Le segment automobile a reçu 57.4% de commandes supplémentaires. Le ratio book-to-bill s'est amélioré à 0.97 au T4 2024/25.

Amélioration séquentielle

Les ventes du T4 2024/25 ont progressé de 2.3% par rapport au T3. Le flux de trésorerie disponible est redevenu positif au second semestre (25.6 millions de francs) après un premier semestre négatif.

Situation financière actuelle

Solidité financière fragile

Le ratio Dette/Equity s'établit à 1.02 (contre 59% de fonds propres en 2018). La couverture des intérêts reste correcte à 4.83x. Le Piotroski F-Score atteint 6.00 sur 9 (correct mais pas excellent), tandis que l'Altman Z-Score de 3.04 place l'entreprise dans la zone de sécurité.

Flux de trésorerie

Le free cash flow 2024/25 s'élève à 14.0 millions de francs (contre 42.8 millions en 2023/24). Le P/FCF de 10.57 (TTM) reste intéressant par rapport à la moyenne sectorielle de 20.40.

Conclusion : leçons d'un effondrement

L'histoire de LEM entre 2018 et 2025 illustre cruellement qu'aucune entreprise, aussi excellente soit-elle, n'est à l'abri d'un effondrement rapide lorsque plusieurs vents contraires se conjuguent.

Les erreurs de l'analyse de 2018

L'analyse initiale souffrait de plusieurs biais : une sous-estimation de l'exposition cyclique au secteur automobile électrique, un excès de confiance dans la pérennité des marges exceptionnelles, une sous-estimation des risques macroéconomiques (change, ralentissement industriel), et un manque d'attention portée aux signaux d'alerte de valorisation élevée.

La valeur des leçons

Cette expérience enseigne plusieurs vérités essentielles. Même les "planches à billets" peuvent s'arrêter. La diversification géographique ne protège pas toujours (ici, seule la Chine tient). Les entreprises cycliques exposées à un secteur en transition (véhicules électriques) comportent des risques considérables. Un ROE exceptionnel peut disparaître très rapidement.

Les perspectives

LEM n'est pas en faillite. L'entreprise conserve une position de leader technologique, dispose encore d'une base financière solide malgré tout, et montre des signes de stabilisation. Le programme "Fit for Growth" pourrait porter ses fruits d'ici 2026/27.

Cependant, à un P/E (TTM) de 53.52 malgré un bénéfice effondré et aucun dividende, l'action n'offre aucune marge de sécurité. Le retour à la rentabilité prendra du temps, et les risques restent élevés (guerre commerciale, ralentissement persistant des véhicules électriques en Occident, dépendance accrue à la Chine).

Pour les investisseurs en quête de qualité et de dividendes stables, LEM n'est plus la société qu'elle était en 2018. Pour les investisseurs opportunistes acceptant une très haute volatilité et un horizon de 5 à 10 ans, le cours actuel pourrait éventuellement représenter une opportunité si la restructuration réussit et si les marchés finaux se redressent. Mais c'est un pari risqué, très éloigné du "bijou" décrit en 2018.

Activité et positionnement

LEM emploie actuellement 1698 personnes avec des sites de production à Genève, Pékin, Sofia, Tokyo et Beijing. Les produits clés sont les transformateurs de courant et de tension utilisés dans un large éventail d'applications sur les marchés de l'industrie, de la traction, de l'énergie et de l'automobile.

Le groupe investit toujours environ 8% de son chiffre d'affaires en recherche et développement, ce qui lui permet de maintenir son avance technologique. Ses produits restent utilisés dans des secteurs porteurs à long terme (automatisation, énergies renouvelables, électromobilité), mais le timing et la rentabilité de ces marchés se sont révélés beaucoup plus difficiles qu'anticipé.

Sources et données

Données financières officielles

  • Résultats annuels LEM 2024/25 (exercice clos le 31 mars 2025) - https://www.lem.com/en/investors
  • Communiqués trimestriels LEM (juillet, novembre 2025) - https://www.lem.com/en/investors
  • Programme "Fit for Growth" annoncé le 11 novembre 2024

Données de marché

  • Données financières : FactSet
  • Association des Constructeurs Européens d'Automobiles (ACEA) - Statistiques de ventes de véhicules électriques 2024 - https://www.acea.auto/
  • Transport & Environment (T&E) - Prévisions marché véhicules électriques 2025

Sources presse

  • Zonebourse : "LEM voit ses recettes chuter sur neuf mois et supprimera des postes" - https://www.zonebourse.com/cours/action/LEM-HOLDING-SA-163566/actualite/Lem-voit-ses-recettes-chuter-sur-neuf-mois-et-supprimera-des-postes-48988970/
  • Zonebourse : "Après un premier semestre morose, Lem n'attend aucune reprise" - https://ch.zonebourse.com/cours/action/LEM-HOLDING-SA-163566/actualite/Apres-un-premier-semestre-morose-Lem-n-attend-aucune-reprise-48322919/
  • Investing.com : "Lem réduit ses objectifs à moyen terme après une baisse des bénéfices" - https://fr.investing.com/news/earnings/lem-reduit-ses-objectifs-a-moyen-terme-apres-une-baisse-des-benefices-citant-les-defis-monetaires-et-du-marche-3137497

 


En savoir plus sur dividendes

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

6 réflexions sur “Analyse de LEM : du succès à la crise (2018-2025)”

  1. Ah ah ah dividinde, tu ne peux pas t’empêcher 😉

    Alors là on est en plein dans un titre à la Warren et ça ne m’étonne pas que tu LEM 🙂
    Une bonne vraie franchise, avec de grosses marges, une forte rentabilité, des frais généraux maîtrisés, des dettes inexistantes et des besoins de dépenses en capital modestes.
    Voilà un titre très solide, qui ne risque pas de faire faillite demain (Z-score d’Altman de 14.3 !), avec comme tu l’as aussi souligné de fortes réserves en liquidités.

    Ceci étant dit, tu te doutes que le petit Benjamin qui sommeille en moi LEM un peu moins.
    Je trouve le titre un peu cher, selon tous mes critères habituels, et en particulier par rapport aux ventes (4.28). Quand ce ratio dépasse les 3, c’est très souvent un signal de vente justement…
    Ajoutons là-dessus qu’on est dans une tendance clairement baissière depuis 6 mois, ce qui n’est pas bon non plus.
    Du point de vue du dividende, tu l’as dit, le payout ratio est hors limites par rapport aux bénéfices. Mais c’est encore pire par rapport au FCF (près de 120%).

    En résumé, c’est vrai que c’est du lourd, mais un peu cher quand même. Tu me diras que la qualité a un prix, c’est juste.
    Peut-être que je LEMerai un peu plus quand le prix se sera stabilisé à des prix plus raisonnables.

    Nom d’un chien je me rends compte que je fais vraiment la fine bouche depuis plusieurs mois. Non seulement je n’achète plus, mais je vends de plus en plus ce qui fait que je me retrouve à la tête de beaucoup de cash. Le S&P 500 vient de battre un nouveau record, le PE Schiller Ratio sur cet indice et le Buffet Index sont à des niveaux astronomiques. Tout cela ne m’inspire rien de bon à l’approche de l’automne…

  2. Et non, c’est plus fort que moi, je ne peux pas m’empêcher de faire des jeux de mots pourris! 🙂

    LEM est en effet une vraie franchise et pour moi la valorisation actuelle est une opportunité à saisir. Par contre je comprends tes réticences, difficile quand on est un pro-Graham de se faire violence et d’acheter à ce prix.

    J’ai déjà gagné plusieurs fois des 20 ou 50% avec cette merveille… et à chaque fois regretté par la suite d’avoir vendu trop tôt et de passer à côté de gains de plusieurs centaines de %.

    Cette fois c’est certain: Tant que les fondamentaux restent aussi vigoureux, LEM est un titre que je veux conserver jusqu’à mon dernier soupir! 😉

  3. LOL, j’avais prévenu dans mon article: c’est un titre très volatil et il peut très bien reperdre 6% demain. Ce qui compte vraiment c’est la tendance à long terme et je ne vois pas de raison qu’elle devienne moins phallique. 🙂

    @Jerôme: est-ce que tu trouves le Z-score d’Altman sur un site gratuit ou s’agit-il de données payantes? Et y trouves-tu aussi le F-score de Piotroski?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *