Analyse de Nestlé : un géant dans la tourmente

Dernière mise à jour : décembre 2025

Plus besoin de présenter cette multinationale helvétique, présente dans 189 pays avec plus de 2'000 marques (Nespresso, KitKat, Perrier, Maggi, Purina) et active depuis 1866 dans l'agroalimentaire. Mais derrière cette image de stabilité légendaire se cache une entreprise en pleine turbulence.

Analyse financière 2025 de Nestlé : illustration montrant le géant suisse de l'agroalimentaire en difficulté avec instabilité managériale, scandales et baisse boursièreRéessayer

Une année 2025 catastrophique pour la direction

L'année 2025 restera dans les annales de Nestlé comme l'une des plus tumultueuses de son histoire. Le 1er septembre 2025, le groupe a annoncé le licenciement avec effet immédiat de son CEO Laurent Freixe, après seulement un an de mandat. Motif officiel : une relation amoureuse non déclarée avec une collaboratrice subordonnée, violation du code de conduite interne.

Cette explication a bon dos. La réalité est plus prosaïque : durant son année à la tête du groupe, l'action Nestlé a perdu 17% de sa valeur. Si le cours avait progressé d'autant au lieu de chuter, nul doute que la "relation amoureuse" aurait été traitée différemment. Les investisseurs ne s'y sont pas trompés : l'action a immédiatement baissé de 2% supplémentaires à l'annonce du licenciement, signe d'une confiance érodée dans la gouvernance du groupe.

C'est le deuxième CEO licencié en un an, après Mark Schneider écarté en septembre 2024 pour sous-performance. Cette instabilité managériale sans précédent pour un groupe réputé pour la stabilité de ses dirigeants inquiète les marchés. Les analystes de JPMorgan notent que cette succession de changements sans processus de recherche externe approfondi laisse l'impression d'une entreprise qui cherche sa direction, incapable d'aligner son conseil d'administration, sa direction et ses actionnaires sur une stratégie cohérente.

Le nouveau CEO, Philipp Navratil, ancien patron de Nespresso, hérite d'une situation difficile. Sur cinq ans, l'action Nestlé a perdu 30% de sa valeur, sous-performant nettement ses pairs européens.

Scandales sanitaires et judiciaires

Comme si l'instabilité managériale ne suffisait pas, Nestlé fait face à plusieurs crises majeures :

Les pizzas Buitoni contaminées ont causé la mort de deux enfants en 2022, un drame qui a profondément entaché l'image du groupe.

Le scandale des eaux minérales révélé par Radio France a mis au jour l'utilisation de traitements interdits sur les eaux Perrier, Hépar, Contrex et Vittel. Des enquêtes judiciaires sont en cours à Paris pour "tromperie", visant Nestlé Waters et Sources Alma. L'affaire implique également un possible lobbying auprès du gouvernement français pour obtenir des autorisations illégales.

L'usine de Vergèze qui produit Perrier pourrait même fermer, les autorités sanitaires locales recommandant l'arrêt de la production en raison de la qualité sanitaire dégradée des captages. En avril 2025, Perrier a dû détruire deux millions de bouteilles après la découverte de bactéries d'origine fécale.

Nestlé cherche désormais des partenariats pour son activité eaux, récemment transformée en unité autonome, signe probable d'une volonté de s'en séparer.

Résultats financiers 2024 et TTM : la croissance s'essouffle

Les résultats 2024 et TTM confirment les difficultés du groupe :

Chiffre d'affaires : 91.35 milliards CHF (exercice 2024), en baisse de 1.77% ou 90.54 milliards CHF (TTM), en baisse de 1.32%. La croissance organique s'établit à seulement 2.2%, très loin des 7.2% de 2023. La croissance interne réelle (volume) n'atteint que 0.8% sur l'année.

Bénéfice net : 10.88 milliards CHF (exercice 2024), en recul de 2.90% ou 10.31 milliards CHF (TTM), en chute de 8.02%. La marge nette (TTM) reste cependant solide à 11.38%, largement supérieure à la moyenne du secteur (2.19%).

Free cash flow : 10.67 milliards CHF, en amélioration de 2.5% grâce à une baisse des impôts payés et des coûts de restructuration.

Dividende : relevé à 3.05 CHF par action (contre 3.00 CHF), maintenant ainsi une tradition de 65 années consécutives d'augmentation ou de maintien du dividende.

Les performances sont particulièrement décevantes dans un contexte de forte inflation des matières premières, notamment le café et le cacao. Le plan "Fuel for Growth" vise 2.5 milliards CHF d'économies d'ici fin 2027, dont 700 millions prévus dès 2025.

Valorisation et dividende : enfin raisonnable ?

Contrairement à mon analyse de 2018 où Nestlé était "totalement hors de prix", la valorisation actuelle paraît plus raisonnable :

P/E (TTM) : 19.68 contre 38.55 en 2018. Ce ratio reste légèrement supérieur à la moyenne sectorielle (17.59) mais n'a plus rien d'excessif pour une entreprise de cette qualité.

P/B (dernier trimestre) : 7.04, certes encore très élevé mais divisé par plus de trois par rapport aux 23.14 de 2018. Le secteur affiche un P/B moyen de 1.64, mais Nestlé bénéficie d'une rentabilité exceptionnelle justifiant une prime.

P/S (TTM) : 2.24 contre 2.73 en 2018. Raisonnable pour un leader avec des marges supérieures.

P/FCF (TTM) : 22.61, inférieur aux 27.92 de 2018.

Le dividende : attractif mais attention

Le rendement de 3.87% (contre 2.93% en 2018) est désormais réellement attractif dans un contexte de taux bas. Le payout ratio (TTM) s'établit à 76.17%, certes élevé mais bien plus soutenable que les 112.99% aberrants de 2018 qui consommaient plus que l'intégralité des bénéfices.

Avec 76.17% des bénéfices distribués et une croissance du dividende de 4.13% sur cinq ans (légèrement inférieure aux 5.41% du secteur), Nestlé offre désormais un profil de rendement intéressant, même si la marge de progression reste limitée.

Le shareholder yield (dividendes + rachats d'actions) atteint 4.98%, un niveau correct. Le groupe a racheté 48.2 millions d'actions en 2024, poursuivant sa politique de réduction du nombre d'actions en circulation (-2.06% sur dix ans), mécaniquement favorable aux actionnaires.

Marges et rentabilité : l'excellence opérationnelle persiste

Nestlé conserve des marges exceptionnelles pour le secteur agroalimentaire :

Marge brute (TTM) : 50.44% contre 26.56% pour le secteur. Remarquable.

Marge opérationnelle (TTM) : 16.74% contre 5.39% pour le secteur. Plus de trois fois supérieure.

Marge nette (TTM) : 11.38% contre 2.19% pour le secteur. Quintuple de la moyenne.

Ces marges démontrent le pouvoir de fixation des prix de Nestlé et l'efficacité de ses opérations, même si la marge opérationnelle de 17.2% sur l'exercice 2024 marque un léger recul par rapport aux 17.3% de 2023.

La rentabilité des capitaux propres (TTM) atteint 33.41%, un niveau exceptionnel qui écrase littéralement la moyenne sectorielle de 5.08%. C'est six fois supérieur. Cette ROE phénoménale justifie le P/B élevé.

Bilan : solide mais endetté

Le ratio dette/equity de 2.28 est élevé comparé à la moyenne sectorielle de 0.52. Nestlé s'endette plus que ses pairs. La dette nette s'élève à 56 milliards CHF fin 2024, en hausse par rapport aux 49.6 milliards de fin 2023, principalement en raison des 7.8 milliards de dividendes versés et des rachats d'actions.

Cependant, la couverture des intérêts (TTM) de 8.21x (contre 3.00x pour le secteur) démontre que le groupe génère largement de quoi honorer ses charges financières. Le coût moyen de la dette s'établit à 2.5%.

Le Z-Score d'Altman de 2.78 indique une zone de prudence (entre 1.8 et 3), nettement moins rassurant que les 3.8 de 2018. Nestlé n'est certes pas en danger de faillite, mais le risque financier a augmenté.

Force financière et perspectives : mitigées

Le Piotroski F-Score reste à 4/9, un niveau faible identique à 2018. Sur une échelle de neuf points mesurant la solidité financière, quatre points signalent une entreprise en difficulté relative. Ce score suggère une performance boursière future potentiellement décevante.

Pour 2025, Nestlé prévoit une croissance organique améliorée (sans préciser de chiffre) et une marge opérationnelle de 16%, "voire plus". À moyen terme, l'objectif reste une croissance organique de 4% ou plus avec une marge de 17% minimum.

Ces objectifs paraissent ambitieux dans le contexte actuel de consommation molle, de défiance des consommateurs envers les marques globales (liée aux tensions géopolitiques), et de forte inflation des matières premières.

Performance et risque

Performance sur 52 semaines : +2.90%, largement inférieure au marché. Performance sur 26 semaines : -7.75%, confirmant la tendance baissière récente.

Le beta de 0.41 (contre 0.76 en 2018) confirme le caractère ultra-défensif du titre. Nestlé bouge environ deux fois moins que le marché.

La volatilité annuelle de 20.71% est cependant nettement supérieure aux 8.68% de 2018, signe de la nervosité des investisseurs face à l'accumulation de mauvaises nouvelles.

Conclusion

Nestlé demeure une entreprise extraordinaire : 159 ans d'histoire, des marques iconiques, des marges exceptionnelles, une rentabilité record, un positionnement mondial inégalé et un caractère défensif précieux en période d'incertitude.

Mais le géant veveysan traverse sa pire crise en décennies. Deux CEO licenciés en un an, des scandales sanitaires graves, des enquêtes judiciaires en cours, une croissance atone, une action en chute libre et une gouvernance qui inspire désormais plus de questions que de confiance.

La valorisation est redevenue raisonnable après des années d'excès. Le P/E de 19.68 n'a plus rien d'exorbitant. Le dividende de 3.87% avec un payout ratio de 76% offre un rendement correct. Les marges et la rentabilité restent spectaculaires.

Faut-il acheter Nestlé aujourd'hui ? Pour un investisseur cherchant un rendement défensif stable, l'action présente désormais un profil risque/rendement acceptable, à condition d'accepter :

  • L'incertitude managériale persistante
  • Le risque de nouveaux scandales sur les eaux minérales
  • Une croissance durablement faible
  • Le poids de l'endettement (dette/equity de 2.28)
  • Un Piotroski F-Score inquiétant de 4/9

Pour un investisseur value quantitatif, les signaux sont mitigés. La valorisation n'est plus excessive, mais le F-Score faible et la dynamique opérationnelle décevante ne plaident pas pour une position agressive.

Nestlé n'est plus "totalement hors de prix" comme en 2018, mais ce n'est pas non plus une affaire évidente. C'est un géant blessé qui doit retrouver sa stabilité, sa croissance et sa crédibilité. La route sera longue.

FAQ

Pourquoi le CEO de Nestlé Laurent Freixe a-t-il été licencié ?

Officiellement pour une relation amoureuse non déclarée avec une collaboratrice subordonnée. Officieusement, la vraie raison est probablement la baisse de 17% de l'action durant son année de mandat. C'est le second CEO licencié en un an, après Mark Schneider écarté en septembre 2024 pour sous-performance.

Nestlé est-elle une bonne action à dividende ?

Le rendement de 3.87% est attractif et le payout ratio de 76% est désormais soutenable (contre 113% aberrant en 2018). Nestlé a maintenu ou augmenté son dividende pendant 65 ans consécutifs. C'est un profil défensif correct, mais la croissance du dividende sera probablement limitée (+4.13% sur 5 ans).

Quelle est la valorisation de Nestlé par rapport au marché ?

Le P/E de 19.68 est légèrement supérieur au secteur (17.59) mais n'a plus rien d'excessif pour une entreprise avec des marges et une rentabilité exceptionnelles (ROE de 33% vs 5% pour le secteur). Le P/B de 7.04 reste élevé mais est en partie justifié par la rentabilité.

Nestlé est-elle endettée ?

Oui, avec un ratio dette/equity de 2.28 contre 0.52 pour le secteur. La dette nette atteint 56 milliards CHF. Cependant, la couverture des intérêts de 8.21x montre que le groupe génère largement de quoi payer ses charges financières.

Quels sont les risques majeurs pour Nestlé ?

L'instabilité managériale (2 CEO en 1 an), les scandales sanitaires sur les eaux minérales (enquêtes judiciaires en cours), la croissance atone (2.2% organique en 2024), la perte de confiance des investisseurs (action -30% sur 5 ans) et un Piotroski F-Score faible de 4/9.

Nestlé va-t-elle vendre son activité eaux minérales ?

Probablement. Le groupe a transformé Nestlé Waters en unité autonome et recherche activement des partenariats. Après les scandales sur Perrier et les autres marques, une cession partielle ou totale paraît probable.

Sources et données

Les données financières proviennent de FactSet (chiffres arrêtés au 31 décembre 2024 pour l'exercice fiscal, et au 30 juin 2025 pour les données TTM).


En savoir plus sur dividendes

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

7 réflexions sur “Analyse de Nestlé : un géant dans la tourmente”

  1. Merci pour cette analyse. Pour moi, le futur de Nestlé n’est pas des plus clair: le nouveau CEO vient du monde de la pharma et le fond activiste Third Point (D. Loeb) pèse de tout son poids pour influencer la stratégie (il cherche entre autres à vendre la participation dans L’Oréal et pousse pour une augmentation de l’endettement; certains pensent qu’il viserait le découpage de l’entreprise en trois sociétés distinctes). Je pense que Nestlé est à un moment charnière de son histoire. Quand ce n’est pas clair, j’ai tendance à m’abstenir; ceci dit, le futur n’est pas forcément mauvais pour les actionnaires.

    1. Pas forcément mauvais, si ce n’est que le prix devrait en dissuader plus d’un. Et comme tu l’as dit très justement, quand ce n’est pas clair, mieux vaut s’abstenir.

  2. Je suis bien d’accord que Nestlé n’est pas un buy actuellement, par contre pour moi c’est un hold. C’est LA valeur défensive par excellence qui donne de la stabilité au portefeuille, avec en arrière-plan plusieurs décennies de dividendes croissants.

    Hors effets non récurrents, le PER 2018 est estimé à 21 et le payout ratio dépasse légèrement les deux tiers. C’est cher mais acceptable pour un tel monstre de constance.

    Le nouveau CEO a fixé un objectif de croissance organique de 4 à 6% à moyen terme (contre 2.8% au 1er semestre 2018 et 2.3 l’année précédente). Il est déjà sur la bonne voie et sa compétence n’est plus à démontrer (cf. Fresenius).

    Enfin, la volonté affichée de Ulf Mark Schneider de se concentrer sur les produits à plus fortes marges et à croissance élevée (comme l’illustre la collaboration avec Starbucks) ainsi que de procéder à de nouvelles acquisitions laissent entrevoir des bénéfices futurs croissants.

    J’ai acheté Nestlé il y a presque 10 ans et reçu depuis chaque année plus de dividendes, sans parler de l’appréciation du cours. C’est définitivement une valeur que je prévois de garder à vie – action survalorisée ou non.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *