Le chemin schizophrène de l’indépendance financière

Dernière mise à jour : novembre 2025

Le (futur) rentier est par essence schizophrène. Il utilise les armes du capitalisme, tout en vivant comme un alter-mondialiste. Pour recevoir des dividendes, il achète les actions de très grosses multinationales, attendant qu'elles génèrent à tous prix de juteux bénéfices. Très souvent employé, ou ex-employé de ces sociétés, il a expérimenté le côté obscur de ces employeurs peu scrupuleux, en particulier quand il s'agit d'exploiter à outrance la main d'œuvre.

Illustration du paradoxe FIRE : capitalisme et minimalisme cohabitent chez le futur rentier

Pourtant, le (futur) rentier attend que leurs employés transpirent toujours plus pour lui verser des dividendes. Caressant d'une main son capital, il évite comme la peste la société de consommation. Il dédaigne la publicité, les effets de mode, les gadgets électroniques et autres futilités créées par le mode de vie occidental. Détestant son travail, il attend patiemment ses soirées, ses week-ends et vacances pour profiter pleinement de la vie. Mais ces instants trop courts lui font vouloir travailler encore plus pour économiser et quitter définitivement le monde du travail.

Oui, le (futur) rentier est définitivement schizo. Oui, je suis schizo. Et vous ?

Cette contradiction apparente mérite qu'on s'y attarde. Car elle révèle les tensions fondamentales du mouvement FIRE : comment peut-on simultanément critiquer le système et en être le bénéficiaire ? Analysons les cinq paradoxes majeurs de l'indépendance financière.

Les quatre contradictions du rentier FIRE

1. Investir dans ce qu'on critique

Le premier paradoxe est le plus évident : nous investissons dans des entreprises dont nous critiquons les pratiques. Nestlé, Philip Morris, Exxon, McDonald's… Les portefeuilles de dividendes aristocrates regorgent de multinationales aux pratiques discutables. En tant qu'actionnaire, je profite de leur rentabilité. En tant que citoyen, je peux critiquer leurs méthodes.

J'ai moi-même détenu des actions de sociétés dont je refusais d'acheter les produits. Cette dissonance cognitive est le prix à payer pour l'indépendance financière : on utilise les outils du système capitaliste pour s'en extraire. Certains appellent ça de l'hypocrisie. Je préfère parler de pragmatisme.

2. Profiter du consumérisme qu'on rejette

Deuxième contradiction : nos dividendes proviennent de la société de consommation que nous fuyons. Plus les gens achètent compulsivement les produits Apple, Coca-Cola ou Nike, plus nos revenus passifs augmentent. Le Black Friday que nous méprisons gonfle nos portefeuilles. Chaque achat impulsif d'un consommateur remplit notre cagnotte FIRE.

Pire encore : en vivant frugalement, nous réduisons notre propre contribution à l'économie de consommation, mais nous espérons que les autres continueront à consommer pour générer nos dividendes. "Faites ce que je dis, pas ce que je fais" pourrait être notre devise.

3. Valoriser le temps mais le vendre

Les adeptes du FIRE répètent en boucle que "le temps est notre ressource la plus précieuse". Puis ils passent 40-50 heures par semaine à le vendre contre un salaire. Nous connaissons la valeur du temps, mais nous acceptons de le brader pendant 10, 15 ou 20 ans pour ne plus avoir à le faire ensuite.

Cette contradiction peut paraître a priori douloureuse : on échange des années de notre vie de jeunesse contre de l'argent qui servira à notre vie future. MAIS, a posteriori : on prendra notre retraite bien plus jeune que les autres.

4. Frugalité militante et capitalisme actionnarial

Cinquième paradoxe : nous prêchons la simplicité volontaire tout en étant des capitalistes purs et durs. Nous conduisons des voitures d'occasion, achetons en vrac, refusons les marques… mais nous scrutons quotidiennement nos tableaux Excel financiers avec l'intensité d'un trader de Wall Street. Notre minimalisme cache souvent une obsession de l'accumulation de capital.

Nous rejetons le matérialisme pour mieux embrasser le financialisme. Au lieu de collectionner des objets, nous collectionnons des actions. Au lieu de mesurer notre succès par nos possessions, nous le mesurons par notre taux d'épargne et notre patrimoine net. Différent dans la forme, identique dans le fond.

Une schizophrénie productive

Ces contradictions sont-elles un problème ? Pas nécessairement. Cette "schizophrénie" peut être vue comme une forme de lucidité : nous comprenons les règles du jeu capitaliste et nous les utilisons pour créer notre propre liberté. Nous ne sommes ni des révolutionnaires naïfs ni des capitalistes aveugles. Nous sommes des pragmatiques qui reconnaissent les contradictions sans les nier.

L'alternative serait de refuser tout compromis : rejeter totalement le système capitaliste (et renoncer à l'indépendance financière via l'investissement), ou l'embrasser entièrement (et devenir les consommateurs compulsifs que nous critiquons). Entre ces deux extrêmes, le chemin FIRE est un entre-deux assumé.

Vivre avec ses contradictions

Après 15 ans dans cette démarche, j'ai appris à accepter ces paradoxes sans culpabilité excessive. Voici comment je gère cette schizophrénie au quotidien :

  • Transparence : je ne cache pas ces contradictions. Les reconnaître désarme la critique et ouvre au dialogue.
  • Cohérence relative : même si je ne peux pas être 100% cohérent, je cherche à minimiser l'écart entre mes valeurs et mes actes.
  • Impact positif : quand on devient indépendant financièrement, on peut consacrer son temps à des projets alignés avec ses valeurs. La fin peut justifier les moyens.

Foire aux questions

N'est-ce pas de l'hypocrisie de critiquer le capitalisme tout en investissant en bourse ?

On peut critiquer un système tout en y participant. Je critique aussi la voiture individuelle, mais j'en utilise une. L'hypocrisie serait de nier cette contradiction. La lucidité est de la reconnaître tout en agissant avec pragmatisme. Le parfait est l'ennemi du bien.

Le FIRE n'est-il pas réservé aux privilégiés ?

Non. L'indépendance financière est moins un problème de revenus que de dépenses. De plus, le FIRE n'est pas qu'une question de chiffres absolus : c'est aussi une philosophie de vie qui valorise le temps sur l'argent. Même sans atteindre l'indépendance totale, réduire sa dépendance au travail est accessible à beaucoup.

Cette schizophrénie disparaît-elle une fois la liberté financière atteinte ?

Partiellement. Une fois indépendant, certaines contradictions s'atténuent (on ne vend plus son temps). Mais d'autres persistent : on continue de profiter du système qu'on critique. La différence : on a désormais le temps de contribuer positivement à la société selon ses valeurs.

Et vous, êtes-vous schizo ?

Si vous lisez ce blog, il y a de fortes chances que vous viviez ces mêmes contradictions. Vous investissez dans la croissance économique tout en souhaitant une société moins productiviste.

Bienvenue au club. Cette schizophrénie n'est pas une faiblesse : c'est la preuve qu'on réfléchit aux implications de nos choix. C'est le signe qu'on refuse les réponses toutes faites et qu'on navigue dans la complexité du monde réel.

Le chemin vers l'indépendance financière n'est pas une ligne droite idéologique. C'est un parcours sinueux, plein de contradictions assumées et de compromis pragmatiques. Et c'est précisément ce qui le rend humain.


En savoir plus sur dividendes

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

15 réflexions sur “Le chemin schizophrène de l’indépendance financière”

  1. Pas mal, je me suis vu à un moment donné dans ta description… A mes débuts…

    Maintenant, j’essaye de consommer plus… Tout ce qui est du plaisir des sens ce n’est pas de la consomation, c’est du plaisir. Voyages, sorties, les amis, il n’y a que ca de vrai. Profiter de la vie à tous les moments.

    Ensuite le boulot, j’ai commencé à prendre gout quand j’ai oublié le but, et je me suis concentré sur le chemin. Du coup, je ne traite qu’avec les clients que j’aime, avec mes conditions, et je lache les clients chiants. Je me concentre sur la qualité et les gens qui restent m’aiment pour ca.

    Du coup, c’est du gagnant gagnant à tous les coups… Et en plus, je planifi pour l’indépendance du futur.

    J’aime bien te lire mon cher jerome, mais sache qu’on vie dans un monde ou l’idiotie domine… Et dans un monde de cigale, la fourmi risque de travailler pour rien.

    Mais tu as bien saisi le profil dans le mille. On est si peu nombreux…

    Je monte souvent à lausanne, ca te dit un verre dans un « STARBUCKS » ??? 🙂

    1. « Ensuite le boulot, j’ai commencé à prendre gout quand j’ai oublié le but, et je me suis concentré sur le chemin. »
      C’est un bon principe, que je commence à appliquer depuis cette année, mais pas encore assez à mon goût. Ta petite piqûre de rappel fait du bien.
      Starbucks, je les avais oubliés ceux-ci… mais je ne vis pas à Lausanne 😉

  2. Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez jamais à travailler un seul jour de votre vie. « Confucius »

    J’ai la chance d’avoir trouvé ! 😉

      1. Les sociétés qui ne maltraitent pas les animaux, qui ne fabriquent pas des produits qui tombent en panne tout les quatre matins par exemple.

  3. Oui mais ,
    c est bien beau tout ça, mais est-ce qu on a eu , ou avons vraiment le choix de notre travail pour faire bouillir la marmite , personnellement en dépit du fait que je suis d une nature frugale

  4. Que c’est bon de lire un article comme celui là.
    J’adore la phrase de Confucius, moi aussi je l’ai trouvé ce travail où l’on va en chantant, eh oui cela existe.
    Merci Jérôme pour tes articles, toujours intéressant.

  5. Bonjour
    Je ne suis pas d’accord avec l’image que vous donnez des entreprises multinationales avec leurs employés.
    « il a expérimenté le côté obscur de ces employeurs peu scrupuleux, en particulier quand il s’agit d’exploiter à outrance la main d’œuvre. »
    J’ai connu le monde informatique (IBM,HP etc), j’ai des connaissances chez HSBC. Les grands groupes assurent a leurs employés une bien meilleurs protection sociale que les petites entreprises en tout cas en France: assurance complémentaire de santé assurance décès, garantie de salaire en cas d’arrêt maladie prolongé, accord de participation aux bénéfices. Et quand ces sociétés faisaient des marges délirantes (IBM) chaque employé en avait sa part dans ses indemnités de déplacement de repas (les techniciens en province roulaient dans des grosses berlines).
    D’autre part il ne faut pas croire qu’une caissière de super marché en province française soit quelqu’un qui se croit mal traitée par son employeur, elle a une meilleur protection que si elle travaille dans une petite épicerie.

    j’ai eu la chance d’avoir un travail qui m’a passionné, avant que la situation se dégrade ce qui m’a permis de prendre ma retraite sans regret. Parfois si le travail est inintéressant l’ambiance que l’on réussit a créer compense la chose.
    Alors rentier pas trop jeune pour en apprécier tous les plaisirs
    bon dimanche
    Hervé

    1. On est bien d’accords. Je ne remets pas en cause la protection sociale offerte par ces multinationales qui est excellente et j’en ai aussi profité. Ce dont je parle c’est le fait qu’elles vous pressent comme des citrons, jusqu’à en tirer la dernière goutte, puis vous jettent, à moins que ne soyez partis avant.

  6. Sympa cet article, je n’aurais pas employé le terme schizophrène, mais plutôt celui de « douce obsession » pour atteindre son projet d’indépendance financière.

    Je souhaite devenir indépendant financièrement depuis maintenant trois ans, comme toi, j’en parle dans un blog.
    Je me donne 10 ans (Honnêtement, cela va être compliqué, mais je pense dégager facilement un bon 1500 € / mois de revenus passifs d’ici là). Il faut un minimum d’obsession, le terme n’est pas joli, mais pour atteindre cet objectif, il faut de la persévérance, de la discipline et être « obsédé » par son projet, sinon on fini, je pense, par décrocher.

    1. Hé hé, alors on est deux obsédés. Je prépare justement prochainement un article sur les traits de caractère nécessaires, comme la persévérance que tu cites, qu’il est nécessaire pour devenir rentier.
      Je me donne aussi 10 ans, mais j’ai commencé il y a plus de 10 ans déjà. Malheureusement j’ai perdu beaucoup de temps parce que je suis rentré dans le marché au mauvais moment et surtout parce que je n’étais pas prudent et discipliné dans ma méthode et mes achats.

  7. Bonjour Jérôme,
    article intéressant !

    J’ai pour projet de devenir rentier et je fais tout pour y arriver. Pour cela il faut aller à l’essentiel en zappant tout le superflu !
    De plus certaines choses, en plus de faire perdre du temps font perdre bien plus, comme par exemple la publicité qui déforme notre façon de penser ! Cela nous conditionne pour agir d’une certaine façon, en nous faisant croire que l’on a des besoins jusqu’ici inconnus !

    Lionel

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *