Dernière mise à jour: décembre 2025
En 2007, un astrophysicien danois de 32 ans lance un blog qui va révolutionner la pensée sur la retraite anticipée. Jacob Lund Fisker venait de réaliser quelque chose d'extraordinaire: après seulement cinq années de travail, il avait accumulé suffisamment d'actifs pour ne plus jamais avoir à travailler. Son secret? Un taux d'épargne de 80% et un mode de vie radicalement différent de la norme.

Son livre Early Retirement Extreme: A Philosophical and Practical Guide to Financial Independence, publié en 2010, est devenu l'un des textes fondateurs du mouvement FIRE (Financial Independence, Retire Early). Avec plus de 45,000 exemplaires vendus, il continue d'inspirer des milliers de personnes à repenser leur rapport au travail et à la consommation.
Qui est Jacob Lund Fisker?
Jacob Lund Fisker est né en 1975 au Danemark. Après des études de physique et mathématiques à l'Université d'Aarhus, il obtient un doctorat en physique théorique à l'Université de Bâle en Suisse. Pendant ses années d'études, il vit avec la bourse étudiante danoise (SU), soit environ 7,000$ par an.
Le déclic survient lorsqu'il commence à travailler comme postdoctorant: son revenu augmente considérablement, mais il continue de vivre avec le même budget étudiant. Cette discipline lui permet d'épargner 80% de ses revenus et d'atteindre l'indépendance financière en moins de cinq ans. En 2009, à 33 ans, il quitte définitivement le monde académique avec un patrimoine représentant 25 fois ses dépenses annuelles.
Souvent qualifié de "père du mouvement FIRE" par le New York Times, Fisker a inspiré une génération entière d'aspirants rentiers précoces.
Le concept d'Early Retirement Extreme
L'approche de Fisker repose sur une remise en question radicale du modèle de société occidental. Plutôt que de suivre le parcours traditionnel études-emploi-consommation-retraite à 65 ans, il propose un chemin alternatif basé sur trois piliers:
1. Minimiser les dépenses
Fisker ne parle pas simplement de frugalité, mais d'une transformation complète de son rapport à la consommation. Son principe: distinguer les besoins réels des désirs artificiels créés par le marketing. En vivant avec 7,000$ par an, il démontre qu'un mode de vie épanouissant est possible avec très peu de moyens.
La clé n'est pas la privation, mais l'optimisation: acheter uniquement des objets durables et polyvalents, développer ses compétences pour faire soi-même (bricolage, réparations, cuisine), et privilégier les expériences aux possessions matérielles.
2. Maximiser le taux d'épargne
Le livre présente une analyse mathématique simple mais puissante: avec un taux d'épargne traditionnel de 10-15%, il faut entre 5 et 10 ans de travail pour financer une seule année de retraite. Mais avec un taux d'épargne de 75%, chaque année travaillée finance trois années de retraite.
Cette progression n'est pas linéaire - elle est exponentielle. Plus vous épargnez, plus vous réduisez vos besoins futurs et plus vite vous atteignez l'indépendance financière.
3. Développer ses compétences
Fisker prône le concept du "Renaissance Man" - une personne aux compétences multiples qui ne dépend pas du système de consommation. Il s'agit de réapprendre à faire par soi-même: réparer ses équipements, cuisiner, fabriquer ses meubles, cultiver ses légumes.
Cette polyvalence n'est pas seulement économique - elle offre aussi une résilience face aux changements économiques et une satisfaction personnelle profonde.
Les citations qui dérangent
Le style provocateur de Fisker a contribué au succès du livre. Voici quelques-unes de ses réflexions les plus marquantes:
Sur la productivité moderne: "Pourquoi devons-nous travailler encore huit heures par jour, 50 semaines par an, alors que nous sommes deux fois plus productifs qu'il y a 50 ans?"
Cette question met le doigt sur un paradoxe central de notre époque. Les gains de productivité technologiques ne se sont pas traduits par plus de temps libre, mais par plus de consommation.
Sur l'éducation de masse: "L'éducation de masse dans les écoles secondaires reflète la production de masse du monde réel. L'enseignant s'adresse à ses 20-25 étudiants assis en rangées, comme un manager le fait avec ses employés."
Sur l'obsolescence programmée: "Les entreprises suivent une stratégie basée sur la mode, l'obsolescence programmée, les mises à jour non nécessaires et la manipulation. Elles incitent les gens à remplacer continuellement des biens qui sont encore en bon état de fonctionnement."
Sur les dettes: "Si vous avez des dettes, vous n'êtes pas une personne libre. Vous êtes explicitement possédé par votre dette et implicitement détenu par votre banquier."
Sur le modèle économique: "Notre modèle économique repose sur le fait de tirer des ressources du sol, de les transformer en produits inutiles, de pousser des gens à les acheter en les convainquant qu'ils en ont besoin, puis de les amener à jeter ces produits parce qu'ils sont obsolètes."
La règle des 34.33
Fisker propose une formule simple pour calculer le montant nécessaire à l'indépendance financière: il faut accumuler 34.33 fois vos dépenses annuelles.
Cette règle se base sur un rendement conservateur de 3% par an. Le calcul: 33.33 fois vos dépenses génèrent exactement vos besoins annuels en intérêts (3% de 33.33 = 1), plus une année de dépenses en capital de départ (33.33 + 1 = 34.33).
Par exemple, si vous vivez avec 30,000 CHF par an, vous devez accumuler environ 1,030,000 CHF. À un taux d'épargne de 75% sur un salaire brut de 100,000 CHF (soit 75,000 CHF épargnés par an), cela prend environ 13-14 ans en tenant compte des rendements composés.
Note: Cette règle diffère de la règle des 4% (25 fois les dépenses) plus populaire dans le mouvement FIRE. Fisker est plus conservateur, ce qui augmente la marge de sécurité.
Adaptation au contexte suisse et français
Si les principes d'Early Retirement Extreme restent valables en Europe, plusieurs spécificités locales méritent d'être prises en compte:
Le système de retraite suisse
En Suisse, le système des trois piliers complique (et facilite à la fois) la retraite anticipée:
AVS (1er pilier): Le montant de la rente dépend des années de cotisation. Une retraite à 33 ans signifie seulement 10-15 années cotisées en plein au lieu de 44, ce qui réduit significativement la rente future.
LPP (2e pilier): Le capital LPP n'est généralement accessible qu'à partir de 58-60 ans. Toutefois, il existe des exceptions: départ définitif de la Suisse, passage en indépendant, ou achat de résidence principale. Ces options peuvent être stratégiquement utilisées pour accéder à ce capital plus tôt.
3e pilier A: Bloqué jusqu'à cinq ans avant l'âge AVS (soit 60 ans), sauf exceptions similaires au 2e pilier.
Pour un retraité précoce suisse, la stratégie optimale consiste souvent à construire un patrimoine libre (titres, immobilier), puis d'accéder progressivement aux capitaux de prévoyance qui n'ont pas pu être récupérés avant.
Coût de la vie réaliste
Vivre avec 7,000$ (environ 6,300 CHF) par an en Suisse relève de l'impossible pour la plupart, notamment à cause de l'assurance maladie obligatoire (300-400 CHF/mois minimum) et du coût du logement.
En Suisse, un budget FIRE plus réaliste (tout en demeurant assez "extrême", à la manière de JLF) se situe plutôt entre 30,000 et 50,000 CHF par an pour une personne seule, soit 4-7 fois le budget de Fisker. Cela reste largement inférieur au revenu médian suisse (environ 85,000 CHF brut), permettant des taux d'épargne de 50-70%.
En France, les coûts sont généralement plus bas, rendant l'approche ERE plus accessible. Un budget de 15,000-25,000 EUR par an est envisageable dans certaines régions.
Fiscalité et optimisation
Les expatriés peuvent optimiser leur situation en vivant dans des pays au coût de la vie plus accessible et à la fiscalité plus avantageuse. Le Portugal, l'Espagne, ou certains pays d'Asie du Sud-Est offrent des régimes attractifs pour les retraités anticipés.
En Suisse, la fiscalité varie fortement selon les cantons. Le choix stratégique du domicile fiscal peut faire une différence significative sur le capital nécessaire.
Les limites et critiques d'ERE
Malgré son influence, Early Retirement Extreme fait l'objet de critiques légitimes:
Style de vie trop radical: Vivre avec 7,000$ par an implique des sacrifices que peu sont prêts à faire: pas de lave-linge, habitat minimaliste (mobil-home), absence de voiture, etc. Pour beaucoup, ce n'est pas de la liberté mais de l'austérité.
Absence de considération familiale: Le modèle ERE fonctionne mieux pour une personne seule ou un couple sans enfants. Élever des enfants avec ce budget est pratiquement impossible dans les pays développés.
Risques de santé: Une assurance santé minimale peut devenir problématique en cas de maladie grave ou d'accident. Ce risque augmente avec l'âge.
Dimension psychologique: Le livre est fort sur la philosophie et les mathématiques, mais faible sur l'aspect psychologique de la retraite précoce. Que faire de 50+ années sans structure professionnelle? Beaucoup de retraités précoces retournent au travail par ennui ou manque de sens.
Contexte économique favorable: Fisker a pris sa retraite en 2009, juste après la crise financière, avec des valorisations boursières basses. Les décennies suivantes ont connu un marché haussier historique. Son succès est-il reproductible dans d'autres contextes économiques?
L'héritage d'Early Retirement Extreme
Malgré ces limites, l'impact du livre reste considérable. Jacob Lund Fisker a ouvert la voie à une réflexion profonde sur:
- Le rapport au travail: Doit-on vraiment échanger 40+ années de sa vie contre un salaire?
- La société de consommation: Sommes-nous libres de nos choix ou manipulés par le marketing?
- La définition du succès: Faut-il mesurer sa réussite à ses possessions ou à son temps libre?
- La résilience personnelle: Dans un monde incertain, les compétences valent-elles plus que l'argent?
Le mouvement FIRE, aujourd'hui diversifié entre Lean FIRE (budget minimal), Fat FIRE (retraite confortable), Barista FIRE (retraite partielle), et Coast FIRE (épargne suffisante mais poursuite d'un travail léger), doit beaucoup aux idées radicales de Fisker.
Conclusion: un manifeste plus qu'un manuel
Early Retirement Extreme n'est pas un guide pratique à suivre pas à pas. C'est plutôt un manifeste philosophique qui pousse à questionner les normes sociales et économiques.
Sa valeur ne réside pas dans l'application littérale de vivre avec 7,000$ par an, mais dans l'invitation à réfléchir: De combien ai-je réellement besoin? Qu'est-ce qui me rend heureux? Combien de temps de ma vie suis-je prêt à échanger contre de l'argent?
Pour le lecteur suisse ou français intéressé par l'indépendance financière, ERE offre un cadre conceptuel précieux, à adapter selon son contexte personnel. Entre l'extrémisme de Fisker et le conformisme de la société de consommation, il existe un large spectre de possibilités.
L'essentiel est de faire des choix conscients, alignés avec ses valeurs, plutôt que de suivre aveuglément le script social par défaut. En cela, Jacob Lund Fisker a magistralement réussi son pari: faire réfléchir.
Foire aux questions
Le livre Early Retirement Extreme est-il toujours pertinent en 2025?
Oui, les principes philosophiques restent valables. Les mathématiques de base (taux d'épargne, règle des 25-34x) sont intemporelles. Seuls les détails pratiques (plateformes d'investissement, fiscalité) nécessitent une actualisation.
Peut-on vraiment prendre sa retraite en 5 ans?
Techniquement oui, avec un revenu élevé et des dépenses extrêmement basses. En pratique, 7-15 ans est plus réaliste pour la plupart des gens. Le contexte personnel (salaire, coût de la vie, situation familiale) fait toute la différence.
Quelle est la différence entre ERE et le mouvement FIRE traditionnel?
ERE est la version la plus radicale du FIRE, proche du "Lean FIRE". Fisker met l'accent sur la réduction drastique des dépenses et le développement de compétences pratiques, tandis que le FIRE mainstream accepte des niveaux de vie plus confortables.
Le modèle ERE fonctionne-t-il avec des enfants?
Difficilement. Le budget de 7,000$/an est incompatible avec les coûts d'éducation des enfants dans les pays développés. Toutefois, les principes de frugalité intelligente et de taux d'épargne élevé restent applicables, avec des objectifs adaptés (ex: 40,000-60,000 CHF/an pour une famille en Suisse).
Quel capital faut-il pour une retraite ERE en Suisse?
Avec des dépenses de 40,000 CHF/an et la règle des 34x de Fisker, il faut environ 1,360,000 CHF. La règle des 25x (plus populaire) donnerait 1,000,000 CHF. Ces montants excluent les capitaux de prévoyance (LPP/3e pilier) qui viennent compléter à partir de 60 ans.
Sources et données
Sources principales:
- Fisker, Jacob Lund. Early Retirement Extreme: A Philosophical and Practical Guide to Financial Independence. CreateSpace, 2010.
- Early Retirement Extreme (blog officiel): earlyretirementextreme.com
- Wikipedia: "Jacob Lund Fisker" (consulté en décembre 2025)
- Get Rich Slowly: "What happened to Early Retirement Extreme? An update from Jacob Lund Fisker" (2025)
Données complémentaires:
- Office fédéral des assurances sociales (OFAS): informations sur l'AVS et la retraite anticipée en Suisse
- Comparaisons de coûts de la vie: données 2025 pour la Suisse et la France
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Hello ,
C est ce que j appelle du bon sens, ou penser par soi meme , etre autonome donc , libre penseur etc,, ,,,
L amusant de l affaire c est d y arriver en profitant de revenus boursiers , encaisser des dividendes provenants aussi
d exploités de la « rat race » clients & employés ,,,
Esclaves ou libres , il n y aurait rien en dehors de l’ « entreprise » ??
Vous me direz on peut etre libre penseur et coincé dans un embouteillage ,,,, mais si ca n arrive qu une fois par an c est plus agreable ,,,,, LOL
Eh oui le top c’est d’être libre en pensée et en action
Bonjour Jérôme!
Un tout grand merci pour toutes ces informations et réflexions pertinentes que tu partages avec tant de lucidité et ce regard original que tu portes sur notre société.
Grand fan de l’approche DGI, je suis depuis longtemps plusieurs blogs nord-américains mais ce n’est que dernièrement que j’ai découvert ton site. Quel plaisir de tomber sur un site helvétique de qualité, c’est denrée rare…
Je te félicite pour ton approche saine qui s’appuie sur des bases solides ainsi que pour ta persévérance, ténacité, discipline et surtout d’avoir su apprendre de tes erreurs passées.
J’ai débuté en bourse en 1998 mais n’ai compris que 15 ans plus tard que le swing trading, les options et l’analyse technique ne valaient pas mieux que des billets de loterie.
Depuis quelques années, je mets en place un portefeuille d’actions de qualité en analysant les fondamentaux des sociétés selon mon propre système, dont la couverture du dividende et sa croissance sont des éléments majeurs.
Au plaisir de lire tes prochains textes!
Salut
Merci beaucoup pour tes compliments. Ça me touche. Nous avons un parcours boursier assez proche semble-t-il…
Effectivement il n’y a pays énormément de blogs boursiers de qualité sur les dividendes croissants en dehors des US. Là-bas au contraire ça fait déjà très longtemps qu’ils s’y sont mis.
Je te souhaite plein succès dans ton approche et au plaisir de te lire.
C’est vrai que nos parcours ne semblent pas si différents. Il y a quelques années encore, je pensais d’ailleurs que mon parcours était assez unique en son genre, mais depuis j’ai rencontré plusieurs traders ou investisseurs qui étaient passés par le même cheminement. Comme quoi tous les chemins semblent finalement mener à l’analyse fondamentale, l’investissement dans la valeur et les dividendes!
Petite question: Avec un portefeuille aussi étoffé et autant de dividendes, les autorités fiscales n’ont-elles encore jamais essayé de te taxer comme un pro?
Non jamais. Ils m’ont demandé une fois de justifier ma variation de fortune c’est tout. Il faut dire justement qu’avec l’approche dividendes croissants, essentiellement buy&hold, on remplit normalement les critères définis par l’AFC : http://www.moneyland.ch/fr/gains-boursiers-actions-impots
Donc quelque part l’impôt anticipé, tant décrié par ceux qui ne veulent pas de dividendes, nous protège indirectement de ce genre de désagréments. Il ne serait pas juste en effet qu’on passe 2x à la casserole.
Ce qui me fait un peu grincer des dents c’est que le modèle de croire que les autres vont consommer à notre place est un peu naïf. C’est parier sur la stupidité des gens, sauf que en même temps, tu publies tes trucs et ils te lisent donc tu coupes toi-même la branche sur laquelle tu es assise. Mais surtout, les gens ne sont pas (tous) stupides. 🙂
On voit aujourd’hui des nouveaux trends, les américains mangent différemment, ils voyagent, les chinois se sont mis à voyager également, les marchés émergeant sont de plus en plus lointains tout comme les capacités de « growth ».
Je me demande où on va et comment le marché va évoluer, mais je parie plutôt sur une longue et constante stagnation.