Dernière mise à jour : décembre 2025
Il y a des investissements dont on préférait ne pas parler. Astaldi SpA fait partie de mes erreurs les plus cuisantes, avec une perte finale de 58%. Ce n'est pas mon pire investissement en termes de pourcentage — certains de mes pires investissements ont perdu davantage — mais c'est celui qui illustre le mieux ce qu'est une value trap : un titre qui semble bon marché... jusqu'à ce qu'on comprenne pourquoi il l'est.

Le contexte : octobre 2017
Astaldi SpA était une entreprise italienne active depuis les années 1920 dans la construction d'infrastructures lourdes : chemins de fer à grande vitesse, métros, ponts, routes, autoroutes, ports, aéroports, barrages, centrales, oléoducs, gazoducs, stations d'épuration, parkings, hôpitaux et bâtiments industriels. L'entreprise exploitait également des parkings et autoroutes en concession.
Second entrepreneur italien et parmi les 25 premiers en Europe dans le secteur de la construction, Astaldi était active dans plus de 70 pays avec près de 11'000 employés et un chiffre d'affaires proche de 3 milliards d'euros.
Les raisons de l'achat : un titre bradé
En octobre 2017, les ratios de valorisation d'Astaldi me semblaient irrésistibles :
- Ratio cours/bénéfices : 5.9
- Ratio cours/valeur comptable : 0.9
- Ratio prix/ventes : 0.2
- Rendement du dividende : 3.4%
- Ratio de distribution : 19.9%
Le faible ratio de distribution laissait une marge confortable à l'entreprise pour augmenter son dividende ou investir dans son développement. Sur la durée, Astaldi créait de la valeur en faisant progresser ses bénéfices, son dividende, la valeur de ses actifs et ses réserves de cash.
Les réserves de liquidités semblaient suffisantes pour répondre aux obligations courantes. Le ratio de liquidité générale était en légère hausse à 1.37. La marge brute progressait à 84.3% et le rendement des actifs atteignait 2.05%.
Avec près d'un siècle d'histoire, Astaldi œuvrait dans un secteur défensif, théoriquement à l'abri des gros séismes économiques.
Les signaux d'alerte que j'ai ignorés
Il y avait pourtant deux points noirs que j'avais relevés mais sous-estimés :
- Cash flow négatif en 2016 : je l'avais attribué à un événement ponctuel, pas à un problème structurel.
- Endettement en hausse : le taux d'endettement atteignait 31.35%, en légère augmentation. Je me disais qu'une dette peut constituer un effet de levier et qu'elle évitait une dilution des actionnaires.
Avec le recul, ces deux signaux combinés — cash flow négatif ET endettement en hausse — auraient dû me faire fuir (ou du moins demeurer en embuscade). Mais j'étais aveuglé par les ratios de valorisation apparemment attractifs, la longue histoire à succès de l'entreprise et sa capacité, jusque là, à créer de la valeur pour les actionnaires.
La chute brutale
Deux semaines après mon achat en octobre 2017, le titre s'est écroulé. En une dizaine de jours, Astaldi a perdu 60% de sa valeur. La descente était si rapide que même mon système de protection des pertes — que je n'avais d'ailleurs pas encore mis en place à l'époque — n'aurait rien changé.
La raison : des problèmes de liquidités bien plus graves que ce que les états financiers laissaient transparaître. Le problème venait notamment du retard dans la vente des parts détenues dans le pont Yavuz Sultan Selim au-dessus du détroit d'Istanbul, en Turquie. L'instabilité politique turque contrecarrait les plans de l'entreprise.
La décision de vendre
En mars 2018, j'ai vendu ma position avec une perte de 58%. Je l'ai annoncé dans mon allocation mensuelle d'actifs #7. Les raisons de ma vente étaient purement fondamentales : les problèmes de liquidités qui apparaissaient soudainement étaient bien plus graves que prévu.
Un lecteur a commenté environ un an plus tard, visiblement irrité : "toujours fier de votre investissement". Je lui ai répondu : "Je n'ai jamais été fier d'un investissement, même avec mes baggers. La bourse pour moi c'est juste un jeu auquel on gagne plus souvent qu'on perd, car oui, parfois on perd. L'important c'est que sur la quantité et la durée, on gagne."
L'épilogue : concordat et rachat
Vendre à -58% était malgré tout la bonne décision. En septembre 2018, Astaldi a déposé une demande de concordat préventif auprès du tribunal de Rome pour se mettre à l'abri de ses créanciers. L'action a plongé de 19% supplémentaires à la Bourse italienne après l'annonce, atteignant 0.92 euro, son niveau le plus bas à ce moment-là.
En février 2019, Salini Impregilo (devenu depuis Webuild) a annoncé l'acquisition d'une participation de 66% dans Astaldi pour 225 millions d'euros. Une restructuration complexe a suivi en 2020-2021, avec la scission d'Astaldi et l'intégration des activités viables dans Webuild.
Le titre a terminé sa course à 0.44 en août 2021, soit une perte de 92% depuis octobre 2017. Ma vente à -58%, aussi douloureuse soit-elle, m'a épargné 34 points de pourcentage de perte supplémentaire.
Les leçons d'une value trap
Parfois, on se trompe
C'est humain. Même avec de nombreuses années d'expérience en investissement, on peut se tromper lourdement. L'important n'est pas d'avoir raison à chaque fois, mais d'avoir raison plus souvent qu'on a tort.
Il y a toujours une part qu'on ne maîtrise pas
Dans chaque investissement, il existe une part d'incertitude. On peut analyser tous les ratios, lire tous les rapports annuels, mais on ne peut jamais tout savoir. Les problèmes de liquidités d'Astaldi n'apparaissaient pas clairement dans les états financiers publics.
Le bon marché peut être un piège
Un titre peut être bon marché parce qu'il est boudé par les investisseurs, qui anticipent, à tort ou à raison, des perspectives de croissance limitées. Il y a tellement peu d'attentes vis-à-vis de cette société, que le titre réagit très positivement aux bonnes surprises et relativement peu aux mauvaises nouvelles (car celles-ci sont déjà "intégrées") dans le cours.
Mais, malheureusement, il arrive parfois que ces mauvaises nouvelles soient bien pires que prévues, comme avec Astaldi. Même la marge de sécurité offerte par la sous-valorisation du titre en question ne suffit plus. C'est une value trap.
Biais rétrospectif : "on est toujours plus intelligent après"
Un cash flow négatif est souvent temporaire. Un endettement en hausse peut être gérable. Mais les deux ensemble créent une pression sur la trésorerie. Sachant ce qui a suivi, je me dis que ces deux flags simultanés auraient dû me mettre la puce à l'oreille.
Mais, 9 fois sur 10, une telle configuration n'a aucun effet. Toutes les entreprises dans ce cas de figure ne vont pas faire faillite, heureusement. Sinon il y en aurait beaucoup. La plupart du temps, particulièrement pour des entreprises de ce calibre, plusieurs exercices difficiles se succèdent avant que la société soit en réelle difficulté.
Biais rétrospectif : "on est toujours plus intelligent après"
Un cash flow négatif est souvent temporaire. Un endettement en hausse peut être gérable. Mais les deux ensemble créent une pression sur la trésorerie. Sachant ce qui a suivi, je me dis que ces deux flags simultanés auraient dû me mettre la puce à l'oreille.
Mais, 9 fois sur 10, une telle configuration n'a aucun effet. Toutes les entreprises dans ce cas de figure ne vont pas faire faillite, heureusement. Sinon il y en aurait beaucoup. La plupart du temps, particulièrement pour des entreprises de ce calibre, plusieurs exercices difficiles se succèdent avant que la société soit en réelle difficulté.
Il n'est jamais trop tard pour vendre
Surtout si les fondamentaux se sont détériorés. Vendre à -58% est douloureux, mais c'est mieux que de conserver jusqu'à -92%. L'espoir n'est pas une stratégie d'investissement.
On n'a pas à se lamenter
On n'a pas à désespérer d'un mauvais investissement, comme on n'a pas à sauter au plafond lorsqu'on double, triple ou quadruple la mise. Cela fait partie du job. L'important, c'est le gain total sur l'ensemble du portefeuille.
La diversification protège
Même une perte de 58% demeure gérable dans un portefeuille suffisamment diversifié. Elle peut même passer inaperçue si d'autres positions compensent. C'est exactement pour ces situations qu'on diversifie.
Questions fréquentes
Qu'est-ce qu'Astaldi est devenue?
Astaldi a été restructurée via un concordat préventif en 2018, puis rachetée majoritairement par Webuild (ex-Salini Impregilo) en 2019. Les activités viables ont été intégrées dans Webuild, tandis qu'un "périmètre de liquidation" a été créé pour certains actifs. L'entreprise Astaldi en tant que telle n'existe plus sous sa forme originale.
Faut-il éviter tous les titres avec un P/E bas?
Non, certains titres avec un P/E bas sont de véritables opportunités. La clé est de comprendre POURQUOI le P/E est bas. Est-ce une sous-évaluation temporaire ou un problème structurel? Dans le cas d'Astaldi, c'était un problème structurel que je n'avais pas pu identifier.
Conclusion
Astaldi restera dans mon panthéon personnel des erreurs d'investissement. Pas la pire en termes de pourcentage, mais certainement l'une des plus instructives. Cette expérience a renforcé ma conviction qu'en investissement, ce qui compte n'est pas d'avoir raison à chaque fois, mais d'avoir un système qui fonctionne sur la durée.
Comme je le dis souvent, la bourse c'est un jeu auquel on gagne plus souvent qu'on perd. Astaldi fait partie des fois où j'ai perdu. L'important, c'est que sur l'ensemble de mon parcours de 25 ans, je suis largement gagnant.
Sources et données
- Allocation mensuelle d'actifs #7 (mars 2018) - Annonce de la vente d'Astaldi
- Que faire quand un titre devisse? - Système de trailing stop loss
- Mes pires investissements en bourse
- Astaldi — Wikipédia - Historique de l'entreprise
- Communiqué de presse Astaldi (septembre 2018) - Demande de concordat préventif
- Radio-Canada (septembre 2018) - Problèmes de liquidités d'Astaldi
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Autant pour moi, bien merdé sur ce coup là… Augmentation du capital et grosse déculottée sur le cours. Heureusement que les japonaises rattrapent le coup.
oui, mais commentaire un peu court ; au cours actuel est ce intéressant ? evidemment la patience serait de rigueur
La baisse ne fait que refléter la hausse de capital envisagée de 200 millions d’euros. Donc une action vaut 2x moins qu’avant. Le titre était sous valorisé avant. Il l’est toujours, mais pas plus qu’avant. Sauf si cette augmentation prévue de capital n’a pas lieu dans ces termes.
Effectivement cela ne sert à rien de s’exciter sur du court terme, tant pour des baisses que pour des hausses.
ne jamais désespérer, et merci pour m’avoir signalé astaldi : acheté à bas prix et qui monte, monte……
🙂
Toujours fier de votre investissement ?
Je n’ai jamais été fier d’un investissement, même avec mes baggers. La bourse pour moi c’est juste un jeu auquel on gagne plus souvent qu’on perd, car oui, parfois on perd. L’important c’est que sur la quantité et la durée, on gagne.