Dernière mise à jour : décembre 2025
Quand intuition et décision étaient toutes deux justes
En mai 2018, je publiais un article sur une erreur d'investissement avec Altria. J'avais acheté l'action à l'été 2017 en tentant d'"attraper un couteau qui tombe", puis vendu à perte en 2018, craignant "que la traversée du désert soit encore assez longue". Sept ans plus tard, le recul permet de valider une chose : mon intuition ET ma décision de vendre étaient toutes deux justes.

Cette expérience mérite d'être revisitée, car elle démonte un mythe tenace de l'investissement dividende : "ne vendez jamais une action à dividende élevé, les revenus compensent toujours la stagnation du cours". Les chiffres montrent le contraire. Un investisseur qui aurait conservé Altria après ma vente en 2018 aurait obtenu un rendement total de 85.41% sur sept ans, contre 184.65% pour un simple ETF S&P 500. Même avec les dividendes réinvestis, Altria a fait moitié moins bien que le marché, avec une volatilité supérieure.
L'erreur initiale : été 2017 - mai 2018
À l'été 2017, Altria subissait une correction boursière suite à des nouvelles négatives. Le réflexe classique du chasseur de bonnes affaires : "C'est Philip Morris, ce n'est quand même pas n'importe quoi !" J'ai acheté sans analyse approfondie, en me fiant uniquement au prestige de la marque.
Après une brève remontée fin 2017, l'action a repris sa chute. En mai 2018, je vendais à perte, ayant enfin pris le temps d'analyser les signaux d'alerte que j'aurais dû voir dès le départ. Les indicateurs étaient pourtant clairs : valorisation intéressante sur le P/E, mais dangereuse sur le P/B, le FCF et le P/S. Le ratio de distribution semblait correct par rapport aux bénéfices, mais risqué face au free cash-flow. Les liquidités étaient misérables.
Cette erreur combinait deux classiques que j'aurais dû éviter après près de vingt ans d'expérience :
- La confiance aveugle dans les valeurs de prestige
- La tentative d'attraper un couteau qui tombe sans marge de sécurité
Ce qui s'est passé ensuite : le désastre JUUL (2018-2024)
Ma crainte d'une "longue traversée du désert" s'est révélée bien plus justifiée que je ne l'imaginais. En décembre 2018, six mois après ma vente, Altria a commis l'une des erreurs stratégiques les plus coûteuses de l'histoire du secteur : l'investissement dans JUUL.
Les chiffres qui valident la décision de vente
Avant d'analyser le désastre JUUL, examinons les performances comparatives depuis ma vente de mai 2018 jusqu'à décembre 2025 (données en total return) :
- Altria (MO) : +85.41% de rendement total (CAGR : 8.46%)
- S&P 500 : +184.65% de rendement total (CAGR : 14.75%)
- Ratio Sharpe MO : 0.36 vs S&P 500 : 0.76 (performance ajustée du risque 2x inférieure)
- Volatilité MO : 23.76% vs S&P 500 : 16.74% (plus risqué)
- Drawdown maximum MO : -47.49% vs S&P 500 : -33.72%
Ces chiffres sont sans appel : Altria a produit moitié moins de rendement que le S&P 500, avec une volatilité supérieure et un drawdown catastrophique. Un investisseur qui aurait vendu en 2018 pour acheter un simple ETF S&P 500 aurait plus que doublé sa performance avec moins de risque.
Le mythe des "dividendes qui compensent tout" s'effondre face aux données. Le rendement dividende élevé (6-8% sur la période) n'a pas compensé la destruction de valeur du capital et la sous-performance face au marché.
L'investissement catastrophique JUUL
Altria a investi 12.8 milliards de dollars pour acquérir 35% de JUUL, valorisant ainsi la startup à 38 milliards de dollars. Cette décision, prise face au déclin structurel des ventes de cigarettes traditionnelles, visait à diversifier le groupe vers les cigarettes électroniques.
Le timing ne pouvait être pire. Quelques mois après l'investissement, JUUL s'est retrouvé au centre d'une tempête parfaite :
- Crise sanitaire des maladies pulmonaires liées au vapotage
- Accusations de marketing ciblant les adolescents
- Multiplication des poursuites judiciaires
- Durcissement réglementaire avec interdiction des saveurs
- Enquêtes fédérales sur les pratiques marketing
Les dépréciations massives
Les chiffres donnent le vertige :
- Octobre 2019 : première dépréciation de 4.5 milliards de dollars
- Janvier 2020 : deuxième dépréciation de 4.1 milliards de dollars
- Total des pertes : 8.6 milliards de dollars sur un investissement de 12.8 milliards
En moins de 14 mois, Altria avait perdu 67% de son investissement initial. L'action, qui se négociait autour de 60 dollars en 2017, est tombée à des creux sous les 40 dollars en 2020, pour stagner ensuite entre 40 et 50 dollars jusqu'en 2024.
Six années de sous-performance
De 2018 à 2024, Altria a subi une traversée du désert que peu d'investisseurs auraient eu la patience d'endurer. Les volumes de cigarettes ont continué leur déclin structurel de 4 à 6% par an. Le marché punissait le titre pour son erreur stratégique et ses perspectives incertaines. En 2023, l'action affichait encore une performance négative de -3.69%.
Le retournement de 2024-2025
L'année 2024 a marqué un tournant spectaculaire. Altria a enregistré une performance de +40.75%, retrouvant des niveaux autour de 58.75 dollars en décembre 2025, avec même des pics à 67.68 dollars en août 2025.
Ce retournement s'explique par plusieurs facteurs :
- Stabilisation du déclin des volumes de cigarettes
- Expansion des marges opérationnelles (segment fumable à 64%)
- Croissance du segment oral tobacco (on! nicotine pouches)
- Retour sur investissement via NJOY (après l'échec JUUL)
- Programme de rachat d'actions de 1 milliard de dollars annoncé début 2025
Altria en 2025 : une franchise qui résiste
Résultats financiers 2024
Les chiffres de l'exercice 2024 démontrent la résilience du modèle économique :
- Chiffre d'affaires (net d'accises) : environ 24 milliards de dollars
- Bénéfice ajusté par action : 5.12 dollars (base 2024)
- Prévisions 2025 : EPS ajusté entre 5.22 et 5.37 dollars (+2% à +5%)
- Marges opérationnelles : 64% dans le segment fumable
Le dividende : l'atout majeur
Malgré les turbulences, Altria n'a jamais rompu sa politique de dividende croissant. Les chiffres actuels :
- Dividende annuel : 4.24 dollars par action
- Rendement : environ 7.2% (décembre 2025)
- Payout ratio : 78% des bénéfices ajustés
- Croissance du dividende (5 ans) : +4% en moyenne annuelle
- Historique : 60 augmentations de dividende en 56 ans
Altria vise une croissance du dividende mid-single digit (environ 4-6%) annuellement, avec un payout ratio cible de 80% des bénéfices ajustés. Cette politique reste soutenable grâce à la génération de cash-flow importante, même si le ratio de distribution élevé laisse peu de marge de manœuvre.
Valorisation actuelle
Aux cours actuels (environ 58 dollars), Altria affiche :
- P/E forward : environ 10-11x (sur prévisions 2025)
- Dividend yield : 7.2% (vs moyenne secteur ~3%)
- P/B : environ 2.8x
La valorisation reste modeste pour un générateur de cash aussi solide, reflétant le déclin structurel des volumes (cigarettes -9% en volume au T3 2025) et l'incertitude réglementaire.
Les leçons à tirer de cette expérience
Leçon 1 : Vendre était la bonne décision
C'est la leçon principale et contre-intuitive de cette histoire : vendre Altria à perte en 2018 était la décision optimale. Les chiffres sont implacables : +85% contre +184% pour le S&P 500 en total return.
Les dividendes protègent, mais ne compensent pas toujours. Le coût d'opportunité d'un capital bloqué dans une action en déclin structurel est réel et mesurable.
Leçon 2 : Le coût d'opportunité est réel
Un investisseur Altria qui s'auto-congratule d'avoir gagné 85% en sept ans rate l'essentiel : il aurait gagné 184% en achetant le S&P 500, avec moins de risques.
La différence ? 99 points de pourcentage de performance en moins. Sur 10.000 euros investis, c'est la différence entre 18.465 euros (MO) et 28.465 euros (SPY). 10.000 euros de manque à gagner pour avoir voulu "chasser les dividendes".
Leçon 3 : La volatilité n'est pas votre amie
Altria a affiché une volatilité de 23.76% contre 16.74% pour le S&P 500. Plus de volatilité pour moins de rendement : c'est la définition d'un mauvais investissement. Le ratio Sharpe de 0.36 (contre 0.76 pour le S&P 500) le confirme : le rendement ajusté du risque était catastrophique.
Les investisseurs dividende aiment croire que les actions à haut rendement sont "moins volatiles" car "on encaisse les dividendes peu importe le cours". C'est faux. Altria a subi un drawdown maximum de -47.49% contre -33.72% pour le S&P 500. Même les dividendes n'ont pas amorti les chocs.
Leçon 4 : Savoir couper rapidement les positions perdantes
L'erreur n'était pas de vendre Altria en 2018. L'erreur était d'avoir acheté sans analyse en 2017. Une fois l'erreur identifiée, la décision correcte était de vendre rapidement, pas de "moyenner à la baisse" ou de "tenir pour les dividendes".
C'est une leçon difficile psychologiquement : admettre qu'on s'est trompé et couper la position. Beaucoup d'investisseurs préfèrent s'accrocher en se racontant que "les dividendes compenseront". Résultat : sept ans de sous-performance face au marché.
Leçon 5 : Le prestige ne protège pas des erreurs stratégiques
Philip Morris, Altria... des noms prestigieux qui peuvent commettre des erreurs dévastatrices. L'investissement JUUL de 12.8 milliards de dollars en est l'exemple parfait : une décision désespérée face au déclin structurel des cigarettes, qui s'est soldée par 8.6 milliards de pertes.
Aucune société, aussi solide soit-elle, ne mérite une confiance aveugle. Les grandes entreprises peuvent faire de très mauvaises acquisitions quand elles cherchent désespérément à compenser un déclin de leur activité principale.
Altria aujourd'hui : piège ou opportunité ?
Avec un rendement de 7.2% et une valorisation de 10-11x les bénéfices, Altria continue d'attirer les investisseurs dividende. Mais les chiffres de performance 2018-2025 doivent servir d'avertissement : un yield élevé ne garantit pas un bon rendement total.
Les arguments qui attirent les investisseurs :
- Génération de free cash-flow solide et prévisible
- Dividende élevé avec historique de croissance (60 augmentations en 56 ans)
- Marques dominantes (Marlboro détient environ 42% du marché US)
- Marges opérationnelles exceptionnelles (64% dans le segment fumable)
- Valorisation modeste (P/E 10-11x)
Les risques que le marché valorise correctement :
- Déclin structurel des volumes de cigarettes (-4 à -6% par an, -9% au T3 2025)
- Incertitude réglementaire (FDA, menthol, taxes)
- Payout ratio dangereux (78%) limitant la marge de sécurité
- Historique d'erreurs stratégiques majeures (JUUL)
- Volatilité supérieure au marché (23.76% vs 16.74%)
- Performance ajustée du risque médiocre (Sharpe 0.36 vs 0.76)
La question clé : Pourquoi acheter Altria quand le S&P 500 a fait deux fois mieux avec moins de risque sur les sept dernières années ? Un investisseur qui mise sur Altria fait le pari que "cette fois, c'est différent".
Foire aux questions (FAQ)
Pourquoi vendre Altria en 2018 était-il la bonne décision malgré les dividendes élevés ?
Les chiffres sont sans appel : entre mai 2018 et décembre 2025, Altria a généré un rendement total de 85.41%, contre 184.65% pour le S&P 500. Même en encaissant tous les dividendes à 6-8% par an, l'investisseur Altria a perdu 99 points de performance face au marché. Le coût d'opportunité d'un capital bloqué dans Altria plutôt qu'investi dans un simple ETF S&P 500 était de 10.000 euros de manque à gagner sur un investissement initial de 10.000 euros.
Les dividendes ne compensent-ils pas toujours la stagnation du cours ?
Non, c'est un mythe tenace de l'investissement dividende. Altria en est la preuve : malgré un yield de 6-8% pendant sept ans, le rendement total (cours + dividendes) était de 8.46% annualisé, contre 14.75% pour le S&P 500. Les dividendes ont partiellement compensé la stagnation du cours, mais pas assez pour battre le marché. Le problème : quand une entreprise est en déclin structurel, les dividendes ralentissent la chute mais ne créent pas de valeur.
Le ratio Sharpe de 0.36 contre 0.76 pour le S&P 500, qu'est-ce que ça signifie ?
Le ratio Sharpe mesure le rendement ajusté du risque : combien de rendement obtient-on par unité de risque prise. Un Sharpe de 0.36 pour Altria contre 0.76 pour le S&P 500 signifie qu'Altria a produit 2x moins de rendement par unité de risque. Autrement dit : non seulement Altria a fait moitié moins bien en performance brute, mais en plus elle était plus volatile. C'est la définition d'un mauvais investissement : moins de rendement ET plus de risque.
Aurait-il fallu "moyenner à la baisse" plutôt que vendre en 2018 ?
Absolument pas. Moyenner à la baisse sur une action en déclin structurel, c'est jeter de l'argent frais dans un puits sans fond. Entre 2018 et 2020, Altria est tombée de 50-60 dollars à 40 dollars. Un investisseur qui aurait moyenné aurait simplement bloqué plus de capital dans une sous-performance garantie.
Comment identifier un dividend yield trap avant d'investir ?
Plusieurs signaux d'alerte permettent d'identifier un piège :
- Yield anormalement élevé : si le yield est 2x supérieur au marché (7% vs 3%), posez-vous des questions
- P/E très bas : un P/E de 10-11x quand le marché est à 20x signifie que le marché anticipe un déclin
- Payout ratio élevé : au-dessus de 75%, la marge de sécurité du dividende est faible
- Secteur en déclin structurel : tabac, médias traditionnels, retail physique
- Free cash-flow en baisse : si le FCF baisse alors que les dividendes montent, danger
- Cours stagnant depuis 3+ ans : si le marché ne valorise pas l'action malgré les dividendes, il a probablement raison
Conclusion : quand les chiffres donnent raison
Cette expérience avec Altria m'a appris une leçon contre-intuitive : parfois, vendre à perte est la meilleure décision qu'on puisse prendre. Mon intuition de 2018 ("longue traversée du désert") était juste, et ma décision de vendre l'était tout autant. Les chiffres le confirment sept ans plus tard : +85% contre +184% pour le S&P 500.
Le mythe de l'investissement dividende voudrait qu'on "ne vende jamais une action à haut rendement, les dividendes compensent toujours". C'est faux. Altria a versé des dividendes de 6-8% pendant sept ans, et malgré cela, le rendement total était moitié moindre que le marché. Le coût d'opportunité d'un capital bloqué dans une action en déclin structurel est réel : 10.000 euros de manque à gagner sur un investissement de 10.000 euros.
L'erreur n'était pas de vendre Altria en 2018. L'erreur était d'avoir acheté sans analyse en 2017, séduit par le prestige du nom Philip Morris et la tentation d'"attraper un couteau qui tombe". Une fois cette erreur identifiée, la décision correcte était de couper rapidement la position, pas de s'accrocher en espérant que "les dividendes compenseront".
Altria illustre parfaitement plusieurs pièges de l'investissement :
- Le dividend yield trap : un yield élevé qui cache un déclin structurel
- Le prestige trompeur : un grand nom peut faire de très mauvaises décisions (JUUL)
- Le mythe de la patience : "tenir coûte que coûte" n'est pas toujours la bonne stratégie
- Le coût d'opportunité : gagner 85% ne sert à rien si le marché fait 184%
La leçon finale : les chiffres comptent plus que les convictions. Un ratio Sharpe de 0.36 contre 0.76, un CAGR de 8.46% contre 14.75%, une volatilité de 23.76% contre 16.74%... Ces données objectives valent plus que tous les discours sur "la qualité des dividendes" ou "la résilience des grandes entreprises".
Parfois, la meilleure décision est d'admettre son erreur, de vendre à perte, et de redéployer son capital là où il travaillera mieux. C'est moins glorieux qu'une belle histoire de "patience récompensée", mais c'est plus rentable. Et en investissement, c'est tout ce qui compte.
Sources et données
Les informations financières et les données de performance présentées dans cet article proviennent des sources suivantes :
- Données financières d'Altria : FactSet (données au 31 décembre 2024)
- Communiqués officiels Altria :
- Articles de presse sur l'investissement JUUL :
- Performance et dividendes :
Note : Les analyses et opinions exprimées dans cet article sont basées sur l'expérience personnelle de l'auteur et ne constituent pas un conseil en investissement. Chaque investisseur doit faire ses propres recherches et analyses avant de prendre une décision d'investissement.
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J’ai aussi 20 ans de bouteille à la bourse et cela m’arrive encore de temps en temps de me prendre une bonne secouée… Cela fait partie du jeu et il faut en accepter les règles. Aucun niveau de connaissance ne permet d’être à l’abri des soubresauts de la bourse, car celle-ci obéit plus aux règles de la psychologie que des sciences exactes.
Dans le cas particulier d’Altria, je n’aurais par contre pas vendu maintenant. L’entreprise reste une superbe franchise et tu peux compter sur son dividende croissant. Et Altria (respectivement Philip Morris) est ressortie encore plus forte de toutes les épreuves traversées au cours des dernières décennies. Au prix actuel, les mauvaises nouvelles sont déjà intégrées dans le cours et je vois un niveau d’entrée alléchant pour un investissement à long terme.
Je savais que tu allais répondre ça
Mais vu que je suis plus radin que toi sur le prix à payer pour une action, malgré la baisse, je trouve le titre toujours trop cher. Et ça rend encore plus absurde ma décision d’achat de l’année passée!
Ça ne me dérange pas de prendre des bouillons si j’ai été fidèle à mes principes. Comme tu le dis, la bourse n’est pas une science exacte, et c’est tant mieux comme ça. Par contre, la peine est double lorsqu’on s’est fait avoir parce qu’on a quitté la voie à suivre…
La moyenne au bâton, c’est ce qui compte! Ne t’empêche surtout pas de dormir pour ça!
Ça risque pas