Investissement quantitatif : la primauté des chiffres

Dernière mise à jour : décembre 2025

Le web financier regorge de commentaires qualitatifs sur les entreprises cotées : perspectives de croissance, compétences managériales, rumeurs de restructuration. Ces informations, souvent contradictoires et invérifiables, créent plus de bruit que de valeur pour l'investisseur.

Investir selon des critères qualitatifs plutôt que quantitatifs ?

Après 25 ans d'investissement et une évolution progressive vers le value investing quantitatif, j'ai constaté qu'une approche basée sur des données factuelles mesurables produit des résultats supérieurs à long terme. Cet article explique pourquoi privilégier l'analyse quantitative et quels critères utiliser pour évaluer objectivement une entreprise.

Le problème des analyses qualitatives

Des commentaires invérifiables

Sur les forums et réseaux sociaux financiers, on trouve typiquement :

  • "Les managers manquent d'expérience" ou "le management est vieillissant"
  • "L'entreprise a des développements prometteurs en R&D"
  • "Le secteur est très concurrentiel, les perspectives sont mauvaises"
  • "Il y a des rumeurs sérieuses sur la vente d'une filiale"
  • "C'est un scénario hypothétique mais assez probable"
  • "Le carnet de commandes est peu fourni, difficile d'en expliquer les raisons"

Le problème : ces affirmations restent au conditionnel, mélangent opinions et faits, et sont souvent contradictoires d'une source à l'autre. On demeure à un niveau très subjectif et hypothétique, avec un usage massif du "je pense", "j'imagine", "il me semble".

Au-delà de tout ça, ce qui pose surtout problème, c'est qu'on est très loin des faits. Au lieu de parler d'éléments tangibles et réels qui déterminent la valeur d'une entreprise, on tourne autour du pot sans jamais attaquer le problème de front. On bidouille, on blablate, on perd son temps et on oublie que ce qui compte c'est d'acheter au meilleur compte par rapport à ce qui est connu et factuel.

L'illusion de la prédiction

Imaginer ce qui va se passer dans quelques mois ou années n'a rien de scientifique, même en utilisant le plus beau jargon d'un comptable tout droit sorti des hautes écoles. C'est juste de la spéculation. Les bénéfices fluctuent naturellement, le contexte sectoriel évolue, les managers changent. Il est très difficile, pour ne pas dire impossible, d'obtenir des résultats fiables comme cela.

L'autre problème avec tous ces commérages, c'est qu'on perd la vision d'ensemble. On se focalise sur tel ou tel problème, telle ou telle nouveauté, mais on oublie de regarder l'entreprise comme un tout, avec son histoire plus ou moins longue. Discuter à n'en plus finir sur les raisons de la baisse ou de la hausse des bénéfices du dernier exercice ne va pas changer la donne.

Warren Buffett intègre certes beaucoup de variables qualitatives dans son approche, notamment par rapport au management des entreprises. La différence, c'est que ce génie de la finance, grâce aux moyens énormes qu'il possède et à son influence, peut avoir un impact significatif sur les gestionnaires de l'entreprise justement. Il ne perd par ailleurs jamais de vue les aspects quantitatifs. Son approche est difficilement reproductible par le commun des investisseurs.

L'approche quantitative : des faits mesurables

Les ratios fondamentaux à privilégier

Une analyse quantitative repose sur des indicateurs objectifs et vérifiables. Voici les certains critères que j'utilise (les chiffres sont donnés à titre d'exemple, ils peuvent varier en fonction des secteurs, zones géographiques et stratégies utilisées) :

Valorisation :

  • Price-to-Book (P/B) inférieur à 1.5 : action potentiellement sous-évaluée
  • Price-to-Earnings (P/E) inférieur à 15 : valorisation raisonnable
  • Price-to-Sales (P/S) inférieur à 1.5 : entreprise attractive par rapport à son CA

Rentabilité / profitabilité :

  • ROE supérieur à 15% : création de valeur pour les actionnaires
  • Marge nette supérieure à 5% : entreprise profitable
  • Free Cash Flow positif sur 5 ans : génération constante de liquidités

Solidité financière :

  • Ratio d'endettement (Dette/Fonds propres) inférieur à 1
  • Current ratio supérieur à 1.5 : capacité à honorer les engagements court terme
  • Interest coverage supérieur à 3x : confort face aux charges d'intérêt

Historique de dividendes :

  • Dividend yield supérieur à 2%
  • Croissance du dividende sur 10 ans
  • Payout ratio inférieur à 60% : soutenabilité du versement

Pourquoi les chiffres sont plus fiables

Les données quantitatives présentent des avantages décisifs :

  1. Objectivité : un P/E de 12 est un fait, pas une opinion
  2. Comparabilité : permet de comparer des entreprises similaires entre elles
  3. Traçabilité : les résultats financiers sont auditables et vérifiables
  4. Historicité : analyse sur 5 à 10 ans pour identifier les tendances réelles
  5. Réplicabilité : méthodologie applicable systématiquement à tout univers d'actions

La preuve par les faits, il n'y a que ça. Si vous achetez à bon prix une entreprise de qualité selon des critères quantitatifs solides, vous n'avez rien à craindre si son carnet de commandes n'est pas aussi bien fourni pendant quelques temps. C'est juste normal. De même, une firme qui possède un historique financier certain, surtout si elle officie dans un secteur défensif et pas trop complexe, peut vivre et survivre avec quasiment n'importe quel manager. Tout ceci n'a pas d'importance tant que les faits, c'est-à-dire les résultats mesurables, suivent.

Ma propre évolution vers le quantitatif

De 2010 à 2017, j'ai pratiqué une approche dividend growth, sélectionnant des "aristocrates du dividende" sur des critères en partie qualitatifs : secteur défensif, marque reconnue, perception de qualité managériale. Les résultats étaient corrects mais pas systématisables ni vraiment reproductibles.

À partir de 2017, j'ai progressivement adopté une stratégie quantitative pure :

  • Screening automatisé sur plusieurs critères financiers objectifs
  • Élimination complète du biais émotionnel et des opinions personnelles
  • Rééquilibrage mécanique régulier sans interprétation

Résultat : performance plus stable, moins de temps passé en analyse, décisions plus sereines, moins de stress à lire les blablas "qualitatifs" des moutons sur le web.

Méthodologie pratique d'analyse quantitative

Je vous renvoie à mon article sur l'utilisation d'un screener boursier pour mettre en place judicieusement une analyse quantitative comme moyen de constitution de portefeuille. J'y mentionne également quelques outils gratuits et payants à disposition. L'essentiel est de construire un processus reproductible que vous appliquez de manière disciplinée, sans vous laisser influencer par le bruit médiatique.

Les limites du "tout quantitatif"

L'approche quantitative n'est pas infaillible. Il existe des situations où la qualité compte réellement :

Cas problématiques :

  • Fraude comptable : les chiffres sont truqués (Wirecard, Enron)
  • Disruption technologique majeure : changement de paradigme (Kodak face au numérique)
  • Changement réglementaire radical : interdiction soudaine d'activité

Solution : diversifier suffisamment, idéalement sur une bonne quarantaine de positions (ou plus si vos frais de courtage ne sont pas trop élevés) pour que ces cas isolés n'impactent pas significativement le portefeuille global. Avec une diversification adéquate, même si 2 ou 3 entreprises sur 40 connaissent des difficultés majeures, l'impact reste limité à 5-7% du portefeuille.

Pour l'investisseur individuel sans accès privilégié à l'information qualitative fiable et sans influence sur les décisions managériales, l'analyse quantitative reste le meilleur compromis entre rigueur et efficacité.

FAQ : Analyse quantitative vs qualitative

Peut-on combiner approches quantitative et qualitative ?

Oui, mais en gardant le quantitatif comme filtre principal. Utilisez les critères qualitatifs uniquement pour départager entre deux entreprises aux métriques similaires, pas comme critère de sélection initial. Le quantitatif doit représenter au minimum 80% de votre processus de décision.

Faut-il ignorer complètement les actualités sur une entreprise ?

Non. Surveillez les alertes majeures : enquêtes judiciaires, sanctions réglementaires, faillites de clients majeurs, changements comptables suspects. Mais ne basez pas vos décisions d'achat ou de vente sur des spéculations, des rumeurs ou des commentaires d'analystes.

Combien de critères quantitatifs utiliser ?

Entre 5 et 12 critères constitue un bon équilibre. Trop peu (moins de 5) manque de robustesse. Trop (plus de 15) crée de l'over-fitting et une complexité excessive.

L'analyse quantitative fonctionne-t-elle sur tous les marchés ?

Elle fonctionne mieux sur les marchés développés (États-Unis, Europe, Suisse, Japon) avec des données fiables et des normes comptables strictes. Plus délicat sur les marchés émergents où la qualité et la fiabilité des données comptables peuvent être douteuses.

Que faire si les ratios se dégradent pour une position détenue ?

Si la dégradation est ponctuelle (un trimestre difficile), gardez la position. Si elle est structurelle (3-4 trimestres consécutifs avec détérioration des métriques clés), vendez lors du rééquilibrage annuel. Pas de réaction émotionnelle immédiate.

Conclusion

L'investissement quantitatif privilégie les faits mesurables aux opinions invérifiables. En construisant votre stratégie sur des ratios financiers objectifs plutôt que sur des spéculations qualitatives ou des rumeurs de marché, vous éliminez le bruit médiatique et vous concentrez sur ce qui détermine réellement la valeur d'une entreprise.

Cette approche factuelle, que j'ai progressivement adoptée au cours de mes 25 années d'investissement, m'a permis d'atteindre la liberté financière avec une stratégie systématique, réplicable et sereine. Les chiffres ne mentent pas. Les commentaires qualitatifs, si.

La preuve par les faits reste la seule approche viable pour l'investisseur individuel qui souhaite construire un patrimoine solide sans passer des heures à analyser des informations invérifiables ou à spéculer sur l'avenir.


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12 réflexions sur “Investissement quantitatif : la primauté des chiffres”

  1. D’où la proposition de Buffet pour l’investisseur lambda ayant peu de temps à consacrer à l’analyse et la recherche de titres et s’y connaissant peu en finance: acheter un fond indiciel sans se poser plus de questions, et y investir régulièrement pour lisser le prix moyen. Avec le temps, ces entreprises, tout comme l’indice, tendent à croître et notre portefeuille aussi.

    1. Oui c’est un bon compromis pour l’investisseur lambda ou débutant. Pour l’investisseur avancé c’est aussi un bon moyen de diversifier un segment de portefeuille. Mais les ETFs ne sont pas la panacée. A partir d’une certaine taille de portefeuille il devient nécessaire d’investir dans de vraies actions afin de ne pas être trop exposé aux ETFs. La plupart des ETFs ont un biais vers les grosses capitalisations (cap-weighted) et pratiquent la prêt de titre (securities lending) pour diminuer artificiellement leurs frais de gestion. Sans compter qu’ils maintiennent sous perfusion des entreprises aux bilans et résultats discutables.

      1. Non, pas plus d’infos, c’est un titre que j’ai placé dans ma watchlist sur la base de ses fondamentaux.

      2. Désolé mais je pense que ça va être difficile ces prochains temps. Je reviens tout juste de Majorque, je retourne demain au boulot et je déménage bientôt donc le peu de temps libre qui va rester sera consacré aux cartons… Je vais essayer de poster sporadiquement un petit commentaire mais je ne veux pas promettre plus et ensuite ne pas m’y tenir.

  2. Je me prends la tête avec l’entreprise de croisières Carnival… Les fondamentaux ne sont certes pas extraordinaires mais plus que corrects et j’ai du mal à comprendre pourquoi le cours pointe au sud depuis deux ans. Le dividende est également excellent et ne semble pas en danger. As-tu une explication, maître?

    1. Il y a problème de FCF à cause de dépenses en capital assez importantes (127% du bénéfice en moyenne), en plus d’un endettement assez important (taux d’endettement à long terme par rapport aux actifs 18% – en hausse), même si le ratio debt/equity est raisonnable (0.42). Si on regarde la valorisation par rapport aux bénéfices, on se dit que c’est une occase, avec un PER courant de 9.5. Par contre si on regarde par rapport au FCF on grimpe déjà à 16.70. Pire, si on utilise la valeur d’entreprise plutôt que la capitalisation pour comparer au FCF (ratio EV/FCF), on monte à 21.89. Par rapport au dividende, même problème : il semble nettement en sécurité par rapport aux bénéfices (payout de 42%), mais plus délicat par rapport au FCF (payout de 73%).
      Conséquence de ce problème de FCF et d’endettement, les réserves de liquidités sont à la ramasse, avec un current ratio de 0.24 et un quick ratio de 0.19. Difficultés de paiement en vue.
      Notons encore que le recours à l’endettement a représenté ces cinq dernières années un retour négatif moyen par annéee pour l’actionnaire de -1.44%.
      Enfin (et je ne sais pas pourquoi je ne l’ai pas dit en premier), c’est un couteau qui tombe !
      Mis-à-part cela il y a quelques belles choses, comme la marge brute, la marge nette, les frais généraux corrects et un score de Piotroski de 8! Ceci montre que les fondamentaux sont en cours d’amélioration…
      Voilà frérot !

      1. Merci frérot pour ces précisions très pertinentes qui me font apparaître cette entreprise sous une toute autre lumière.

        Tu es un phare dans les méandres et les ténèbres de la bourse! 🙂

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