Le PER du point de vue psychologique

On parle très souvent du Price-Earnings Ratio (ou PER) en tant d'indicateur de valorisation d'une entreprise. Le PER compare le cours d'un titre au bénéfice par action. Plus il est élevé, plus vous payerez cher pour une entreprise par rapport à ses fondamentaux. C'est l'indicateur les plus suivi de la masse des investisseurs, il a certes des avantages, mais aussi beaucoup de défauts.

À côté du contexte strictement financier du PER, il est intéressant de se pencher sur sa composante psychologique. En effet, lorsqu'un titre prend de la valeur cela peut-être parce que le bénéfice progresse et que donc que le prix s'adapte en fonction pour maintenir un PER constant. Mais cela peut aussi être dû au fait que les investisseurs sont prêts à payer plus cher une entreprise parce qu'ils en attendent quelque chose. Très souvent on assiste donc, en particulier lors d'un marché haussier, à une espèce de fuite en avant, avec des bénéfices qui progressent certes, mais avec un PER qui grimpe malgré tout de plus en plus, parce qu'il y a des personnes, de plus en plus nombreuses, qui espèrent quelque chose encore mieux dans le futur.

Plus le PER est élevé, plus les attentes sont élevées. C'est un peu comme si vous étiez un fan inconditionnel de U2. Vous seriez prêt à payer très cher un billet de concert et même à vous rendre à l'autre bout de la planète. A contrario, si un groupe local joue près de chez vous, vous seriez éventuellement d'accord d'aller les voir si l'entrée est gratuite et que vous vous en tiriez avec quelques bières. Maintenant imaginez, vous êtes 'descendu' en Australie pour voir le groupe légendaire et vous apprenez que Bono vient d'avoir un accident et que tous les prochains concerts sont annulés. Même si le ticket est remboursé, votre déception est immense et vous acheté vos billets d'avion et vos nuits d'hôtel dans le vide. Plus vos attentes sont élevées, plus la perte morale et financière est importante. A contrario, imaginez-vous en train de siroter votre bière et d'écouter ce groupe du coin inconnu. Il s'avère qu'ils font des reprises incroyables et qu'ils ont une pêche d'enfer. Le public est chaud et en redemande. Vous passez une superbe soirée. Moins vos attentes sont élevées, plus les chances de bonne surprise sont élevées et moins votre risque financier est élevé.

En bourse c'est exactement pareil. Avec un PER élevé, les attentes sont énormes, à tel point même qu'un résultat tout juste conforme à ce qui était prévu par les analyses peut même représenter une déception et faire chuter le titre. Il faut que le titre continue à aligner les bonnes surprises pour que son cours continue à progresser. Fatalement, à un moment donné, ce ne sera plus possible. Lorsque les bénéfices tombent en dessous des attentes, c'est la dégringolade assurée. À l'inverse, les investisseurs n'attendent rien d'un PER faible. À la rigueur même de mauvais résultats n'ont aucun impact sur le cours. Mieux, le "risque" de bonne surprise est forcément assez élevé dans ce contexte, et, lorsque c'est le cas, le cours a tendance à réagir fortement à la hausse.

Plutôt que d'espérer des résultats futurs hypothétiques, focalisons-nous sur la réalité du temps présent. Cela évite des espoirs déçus. Comme disait Sénèque : "Le plus grand obstacle à la vie est l'attente, qui espère demain et néglige aujourd'hui".

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4 réflexions sur “Le PER du point de vue psychologique”

  1. Excellent article! D’un côté un PER élevé signifie en effet des attentes élevées, voir trop élevées, et le risque de déception est relativement important. D’un autre côté, on constate qu’un PER élevé signifie généralement que les investisseurs ont identifié une société de grande qualité et sont prêts à payer une prime – le plus souvent à juste titre.

    Les qualités d’un Givaudan justifient par exemple un PER deux fois plus élevé que pour Adecco. Les attentes pour Givaudan sont certes plus élevées, mais la pratique montre qu’une telle entreprise les remplit bien plus souvent qu’une autre telle qu’Adecco.

    Enfin, il ne faut pas oublier que le PER (comme tout autre ratio) n’est pas une valeur figée dans le temps. Un PER 2019 de 25 n’est par exemple pas forcément exagéré si l’année d’après les bénéfices augmentent de 20%, ramenant ainsi mécaniquement le PER 2020 à 20.

    1. Juste. La qualité a un prix. Reste à savoir lequel. Tout est affaire de proportions, de rapport qualité/prix.

      On peut acheter en effet trop cher une entreprise avec un PER de 10 parce que son FCF diverge des bénéfices, parce que ses concurrents sont meilleurs qu’elle, parce que son domaine est obsolète, parce que son personnel est dépassé, ou pour x autres raisons. On peut acheter bon marché aussi une entreprise avec un PER de 25 parce que les actifs valent plus que la capitalisation, parce que l’entreprise passe juste une mauvaise période, parce que le FCF est énorme, ou pour x autres raisons.

      Si on en revient à la comparaison avec U2 c’est pareil. On est ok pour mettre le prix. Il est normal d’aligner les billets pour un groupe qu’on connaît et qui a fait ces preuves depuis des décennies. Souvent, on trouve exactement ce qu’on recherche. Une belle soirée, un public chaud, de la bonne musique et de jolis effets. On n’est rarement surpris, ni en bien, ni en mal. C’est du U2 quoi, dans toute sa splendeur. On ne s’attend à rien d’autre.

      Mais si ça devait foirer, on serait fortement déçus parce que nos attentes sont au moins aussi élevées que le prix qu’on y a mis.

      Dans le même genre d’idées, si le guitariste du groupe local a trop carburé au Fendant, ça va nous casser les oreilles et on risque d’aller boire notre prochaine bière ailleurs. Nos attentes sont tellement insignifiantes avec le groupe local, que notre risque est assez faible. Au contraire, les chances de bonne surprise sont assez importantes.

      Tout est question de proportion donc, mais aussi de probabilités. Notre risque est forcément plus élevé avec un PER plus haut.

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    Merci pour cet article.

    Le problème avec le PER, c’est qu’il correspond au présent et ne constitue pas une garantie pour l’avenir. Alors, effectivement, plus il est élevé plus le risque de déception -et donc de perte sur la valeur de l’action- l’est aussi.

    Par ailleurs, l’époque que l’on vit est bien étrange. Les banques centrales ayant créé beaucoup de liquidités depuis 2008 et les taux d’intérêts bas voire négatifs faisant leur effet, la masse monétaire se place où elle peut, si ce n’est pour gagner au moins pour tenter si possible de ne pas perdre. C’est l’un des facteurs qui fait que les marchés sont au plus haut et déconnectés d’une certaine réalité. L’investisseur place pour placer et tant pis pour les PER élevés et autres indicateurs au rouge. Comment cela va-t-il finir?

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